Photographie prise lors de la campagne pour la liste "Front de Gauche pour changer d'Europe" aux élections européennes de 2009, image disponible à cette adresse : http://www.slate.fr/story/153663/face-euro-fn-insoumis-doctrine
2008. Le Parti Socialiste se déchire sous le regard médusé des Français au congrès de Reims : après que l'aile gauche du parti rassemblée derrière le (relativement) jeune député européen Benoît Hamon ait plafonné à 18,52%, la maire de Lille Martine Aubry et l'ancienne candidate à l'élection présidentielle de 2007 Ségolène Royal s'affrontent en un second tour pour le poste de Première Secrétaire du parti où elles s'accusent réciproquement de tricherie. Dans le même temps, on apprend que deux parlementaires de l'aile gauche du PS, le sénateur Jean-Luc Mélenchon et le député Marc Dolez, quittent le parti suite à l'échec de la motion de Benoît Hamon pour en fonder un nouveau, qu'ils baptisent Parti de Gauche. À l'époque, j'ai seize ans et comme beaucoup de Français, je sais que le PS a par le passé porté des mesures qui défendaient les droits des travailleurs et les services publics, je pense qu'il faut se rassembler autour de lui contre un Nicolas Sarkozy raciste et néolibéral, aussi je ne comprends pas cette scission ; pour moi, il faut faire barrage à Ségolène Royal, c'est pourquoi j'espère une victoire de Martine Aubry et qu'elle pourra remettre son parti en ordre de bataille pour défendre un projet de gauche. Je ne sais pas, à ce moment-là, qu'elle et son père Jacques Delors ont été parmi les premiers à introduire au sein du PS les idées de Tony Blair et d'Anthony Giddens, celles d'une conversion de la gauche à l'économie de marché, et qu'il n'y a donc rien à attendre d'elle.
2009, les élections européennes sous Sarkozy. Entre un PS encore secoué par ses déchirements internes et une liste Europe Écologie sortie de nulle part qui capitalise sur sa crise, je retrouve Jean-Luc Mélenchon et son Parti de Gauche dans un clip de campagne, associés à la secrétaire générale du Parti Communiste Français Marie-George Buffet et à un ancien cadre de la Ligue Communiste Révolutionnaire, Christian Picquet, qui a fondé un parti nommé Gauche Unitaire ; ils ont créé ensemble une liste pour les élections qu'ils ont appelée "Front de gauche pour changer d'Europe". Ma première réaction est de me dire "Tiens, les ringards ont fait alliance ?". Mais le clip s'avère beaucoup plus intéressant que je ne m'y attendais, dénonçant le néolibéralisme sur un ton clair et tranchant, intégrant pour une fois la problématique de l'écologie. Je n'ai pas encore le droit de vote, mais je me dis qu'après tout, ce qu'ils proposent est intéressant. Et finalement, un nombre surprenant de Français pensent comme moi : leur liste fait 6%, soit trois fois plus que le piteux 2% de Marie-George Buffet à l'élection présidentielle de 2007.
Je ne sais pas, à ce moment-là, que je m'engagerai un jour dans cette expérience qui sera durant quelques années le nouveau nom de l'espoir à gauche, jusqu'à ce que la candidature de Jean-Luc Mélenchon à l'élection présidentielle de 2012 porte le Front de Gauche au score de 11%, un exploit inédit à gauche du PS depuis Georges Marchais ; jusqu'à ce qu'il se fracasse lamentablement sous le quinquennat de François Hollande et disparaisse. Qu'est-ce qui a permis à cette force politique d'accomplir cela et qu'est-ce qui l'a finalement fait échouer ? Que s'est-il passé et quelles leçons en tirer ? C'est à ces questions que tentera de répondre cet article : ayant commencé pour ma part à militer lors des élections municipales 2014 pour la liste du Front de Gauche à Nice, j'ai en effet vécu son échec de l'intérieur.
2009, les élections européennes sous Sarkozy. Entre un PS encore secoué par ses déchirements internes et une liste Europe Écologie sortie de nulle part qui capitalise sur sa crise, je retrouve Jean-Luc Mélenchon et son Parti de Gauche dans un clip de campagne, associés à la secrétaire générale du Parti Communiste Français Marie-George Buffet et à un ancien cadre de la Ligue Communiste Révolutionnaire, Christian Picquet, qui a fondé un parti nommé Gauche Unitaire ; ils ont créé ensemble une liste pour les élections qu'ils ont appelée "Front de gauche pour changer d'Europe". Ma première réaction est de me dire "Tiens, les ringards ont fait alliance ?". Mais le clip s'avère beaucoup plus intéressant que je ne m'y attendais, dénonçant le néolibéralisme sur un ton clair et tranchant, intégrant pour une fois la problématique de l'écologie. Je n'ai pas encore le droit de vote, mais je me dis qu'après tout, ce qu'ils proposent est intéressant. Et finalement, un nombre surprenant de Français pensent comme moi : leur liste fait 6%, soit trois fois plus que le piteux 2% de Marie-George Buffet à l'élection présidentielle de 2007.
Je ne sais pas, à ce moment-là, que je m'engagerai un jour dans cette expérience qui sera durant quelques années le nouveau nom de l'espoir à gauche, jusqu'à ce que la candidature de Jean-Luc Mélenchon à l'élection présidentielle de 2012 porte le Front de Gauche au score de 11%, un exploit inédit à gauche du PS depuis Georges Marchais ; jusqu'à ce qu'il se fracasse lamentablement sous le quinquennat de François Hollande et disparaisse. Qu'est-ce qui a permis à cette force politique d'accomplir cela et qu'est-ce qui l'a finalement fait échouer ? Que s'est-il passé et quelles leçons en tirer ? C'est à ces questions que tentera de répondre cet article : ayant commencé pour ma part à militer lors des élections municipales 2014 pour la liste du Front de Gauche à Nice, j'ai en effet vécu son échec de l'intérieur.
I/ Pourquoi le Front de Gauche ? Aux origines du mouvement
Pour comprendre la création et le succès du Front de Gauche, il faut comprendre à quelle situation il devait répondre : l'actuel coordinateur national du PG Éric Coquerel raconte cette histoire dans son livre Au cœur du Front de Gauche ; parce qu'elle est inséparable de celle du Parti de Gauche, il est aussi utile de lire à ce sujet l'article des politistes Fabien Escalona et Mathieu Vieira "Le sens et le rôle de la résistance à l'UE pour le Parti de gauche", paru dans la revue Politique européenne (n°43, 2014).
L'idée fondamentale du Front de Gauche était de rassembler non plus la gauche en général, comme cela s'était fait sous Lionel Jospin (sans l'extrême-gauche), mais la partie de la gauche qui s'opposait encore à la conversion du PS à l'économie de marché, considérant que rompre avec cette dérive était plus important que l'union de la gauche. Cette idée commence à prendre de l'ampleur après l'élection présidentielle de 2002 : l'absence de Lionel Jospin au second tour, laissant le champ libre à un duel entre la droite gaulliste de Jacques Chirac et l'extrême-droite de Jean-Marie le Pen, constitue alors un choc pour tout le monde ; on s'accorde généralement sur le fait que la gauche s'est éparpillée en trop de candidatures différentes, mais les plus à droite au PS comme François Hollande ou Dominique Strauss-Kahn défendent l'idée que cet échec est dû au fait que la politique de Jospin était encore trop à gauche, tandis que les plus à gauche comme Jean-Luc Mélenchon considèrent que c'est au contraire dû au fait qu'elle ne l'était pas assez. C'est à cette époque que naît un premier appel à l'union de ceux qui refusent la droitisation du PS, l'appel du Ramuleau : on y retrouve des gens du PCF comme l'historien Roger Martelli, d'autres du PS comme Jean-Luc Mélenchon, des Verts comme Martine Billard, ainsi que Éric Coquerel qui venait de quitter le Mouvement Des Citoyens de Jean-Pierre Chevènement après l'échec de celui-ci à l'élection présidentielle de 2002, considérant qu'il avait eu tort de vouloir rassembler les républicains "des deux rives" (de gauche et de droite). C'est la première rencontre entre ceux qui seront plus tard les acteurs du Front de Gauche et en particulier du Parti de Gauche.
Cette idée d'une coalition contre la conversion de la gauche au néolibéralisme se concrétise pour la première fois en 2005 : la France est alors agitée par le débat sur le Traité Constitutionnel Européen, qui reprend les principes du traité de Maastricht et en particulier ceux de l'économie de marché et de la libre-circulation des capitaux pour leur donner valeur constitutionnelle dans l'Union Européenne ; la fracture apparaît alors nettement au PS entre ceux comme François Hollande qui défendent ce traité et l'aile gauche du parti qui le refuse catégoriquement, ralliée étonnamment par l'ancien premier ministre Laurent Fabius, jusque-là connu pour des positions beaucoup plus à droite. Jean-Luc Mélenchon et les militants PS qui sont les plus proches de lui comme François Delapierre franchissent alors le Rubicon en rejoignant le PCF et l'extrême-gauche pour faire campagne contre le TCE malgré les menaces d'exclusion de leur parti, Martine Billard fait de même aux Verts (il est à noter que Jean-Luc Mélenchon avait cependant voté pour le traité de Maastricht où figuraient déjà les mêmes principes, en 1992, défendant l'idée qu'une "Europe sociale" pourrait s'établir ensuite, une fois les pays unis par le marché commun : le fait que cela ne se soit jamais produit explique son revirement ultérieur). Cette expérience se traduit par une victoire, le "Non" l'emportant au référendum sur le TCE, et c'est alors que Jean-Luc Mélenchon et ses proches commencent à s'éloigner du PS et envisagent de le quitter : ils créent l'association Pour la République Sociale (PRS), dont le nom reprend un slogan de la Commune, pour rassembler ceux à gauche qui s'étaient opposés au TCE qu'ils soient ou non membres du PS et commencent à établir des contacts avec d'autres forces de gauche par le biais de cette association ; à l'intérieur du PS, ils créent le courant Trait d'Union.
Cette victoire n'empêchera pas l'adoption d'une version à peine modifiée du TCE, le Traité de Lisbonne, sous la conduite de Nicolas Sarkozy ; elle n'empêchera pas non plus un nouvel éclatement de la gauche à l'élection présidentielle de 2007. Les forces de gauche qui avaient participé à la campagne contre le TCE cherchent en effet à s'y rassembler en un collectif, sans la LCR et Lutte Ouvrière dont la stratégie isolationniste est de plus en plus affirmée, et PRS avec Jean-Luc Mélenchon à sa tête soutient l'initiative, considérant que ce collectif est nécessaire pour faire pression sur le candidat du PS quel qu'il soit ; en parallèle, l'association soutient Laurent Fabius à la primaire du PS, du fait que celui-ci a pris position contre le TCE. Cela se traduit par un double échec : le collectif explose, incapable de se mettre d'accord sur une candidature présidentielle commune, notamment entre le syndicaliste José Bové de la Confédération paysanne et le PCF ; Laurent Fabius échoue face à Ségolène Royal, qui est alors la compagne de François Hollande et ne cache pas ses positions très à droite sur certains sujets. Cela aboutira, comme en 2002, à une démultiplication des candidatures sur la gauche du PS, à cette différence que cette fois-ci, le PS arrive au second tour, mais pour échouer face à un Nicolas Sarkozy dont chacun savait qu'il était bien plus dangereux que Jacques Chirac.
C'est pour ne pas répéter ces deux échecs que se créé le Front de Gauche, dans le but de rassembler toute la gauche refusant que les traités européens servent à imposer le néolibéralisme.
L'idée fondamentale du Front de Gauche était de rassembler non plus la gauche en général, comme cela s'était fait sous Lionel Jospin (sans l'extrême-gauche), mais la partie de la gauche qui s'opposait encore à la conversion du PS à l'économie de marché, considérant que rompre avec cette dérive était plus important que l'union de la gauche. Cette idée commence à prendre de l'ampleur après l'élection présidentielle de 2002 : l'absence de Lionel Jospin au second tour, laissant le champ libre à un duel entre la droite gaulliste de Jacques Chirac et l'extrême-droite de Jean-Marie le Pen, constitue alors un choc pour tout le monde ; on s'accorde généralement sur le fait que la gauche s'est éparpillée en trop de candidatures différentes, mais les plus à droite au PS comme François Hollande ou Dominique Strauss-Kahn défendent l'idée que cet échec est dû au fait que la politique de Jospin était encore trop à gauche, tandis que les plus à gauche comme Jean-Luc Mélenchon considèrent que c'est au contraire dû au fait qu'elle ne l'était pas assez. C'est à cette époque que naît un premier appel à l'union de ceux qui refusent la droitisation du PS, l'appel du Ramuleau : on y retrouve des gens du PCF comme l'historien Roger Martelli, d'autres du PS comme Jean-Luc Mélenchon, des Verts comme Martine Billard, ainsi que Éric Coquerel qui venait de quitter le Mouvement Des Citoyens de Jean-Pierre Chevènement après l'échec de celui-ci à l'élection présidentielle de 2002, considérant qu'il avait eu tort de vouloir rassembler les républicains "des deux rives" (de gauche et de droite). C'est la première rencontre entre ceux qui seront plus tard les acteurs du Front de Gauche et en particulier du Parti de Gauche.
Cette idée d'une coalition contre la conversion de la gauche au néolibéralisme se concrétise pour la première fois en 2005 : la France est alors agitée par le débat sur le Traité Constitutionnel Européen, qui reprend les principes du traité de Maastricht et en particulier ceux de l'économie de marché et de la libre-circulation des capitaux pour leur donner valeur constitutionnelle dans l'Union Européenne ; la fracture apparaît alors nettement au PS entre ceux comme François Hollande qui défendent ce traité et l'aile gauche du parti qui le refuse catégoriquement, ralliée étonnamment par l'ancien premier ministre Laurent Fabius, jusque-là connu pour des positions beaucoup plus à droite. Jean-Luc Mélenchon et les militants PS qui sont les plus proches de lui comme François Delapierre franchissent alors le Rubicon en rejoignant le PCF et l'extrême-gauche pour faire campagne contre le TCE malgré les menaces d'exclusion de leur parti, Martine Billard fait de même aux Verts (il est à noter que Jean-Luc Mélenchon avait cependant voté pour le traité de Maastricht où figuraient déjà les mêmes principes, en 1992, défendant l'idée qu'une "Europe sociale" pourrait s'établir ensuite, une fois les pays unis par le marché commun : le fait que cela ne se soit jamais produit explique son revirement ultérieur). Cette expérience se traduit par une victoire, le "Non" l'emportant au référendum sur le TCE, et c'est alors que Jean-Luc Mélenchon et ses proches commencent à s'éloigner du PS et envisagent de le quitter : ils créent l'association Pour la République Sociale (PRS), dont le nom reprend un slogan de la Commune, pour rassembler ceux à gauche qui s'étaient opposés au TCE qu'ils soient ou non membres du PS et commencent à établir des contacts avec d'autres forces de gauche par le biais de cette association ; à l'intérieur du PS, ils créent le courant Trait d'Union.
Cette victoire n'empêchera pas l'adoption d'une version à peine modifiée du TCE, le Traité de Lisbonne, sous la conduite de Nicolas Sarkozy ; elle n'empêchera pas non plus un nouvel éclatement de la gauche à l'élection présidentielle de 2007. Les forces de gauche qui avaient participé à la campagne contre le TCE cherchent en effet à s'y rassembler en un collectif, sans la LCR et Lutte Ouvrière dont la stratégie isolationniste est de plus en plus affirmée, et PRS avec Jean-Luc Mélenchon à sa tête soutient l'initiative, considérant que ce collectif est nécessaire pour faire pression sur le candidat du PS quel qu'il soit ; en parallèle, l'association soutient Laurent Fabius à la primaire du PS, du fait que celui-ci a pris position contre le TCE. Cela se traduit par un double échec : le collectif explose, incapable de se mettre d'accord sur une candidature présidentielle commune, notamment entre le syndicaliste José Bové de la Confédération paysanne et le PCF ; Laurent Fabius échoue face à Ségolène Royal, qui est alors la compagne de François Hollande et ne cache pas ses positions très à droite sur certains sujets. Cela aboutira, comme en 2002, à une démultiplication des candidatures sur la gauche du PS, à cette différence que cette fois-ci, le PS arrive au second tour, mais pour échouer face à un Nicolas Sarkozy dont chacun savait qu'il était bien plus dangereux que Jacques Chirac.
C'est pour ne pas répéter ces deux échecs que se créé le Front de Gauche, dans le but de rassembler toute la gauche refusant que les traités européens servent à imposer le néolibéralisme.
II/ La création du Front de Gauche et du Parti de Gauche
Dans le même temps, en effet, les acteurs de la campagne contre le TCE voient d'autres expériences de gauche réussir ailleurs en Europe : c'est le cas en particulier de Die Linke, parti politique allemand fondé par une petite fraction dissidente du SPD emmenée par l'ancien ministre Oskar Lafontaine avec le PDS, l'ancien parti communiste d'Allemagne de l'est, passé sous la direction de son aile démocrate après la chute du régime ; c'est aussi celui de la coalition Izquierda Unida en Espagne, rassemblant l'ancien parti communiste avec des écologistes. Ces partis incarnent ce que l'on appelle la gauche "radicale", au sens que Philippe Marlière, Jean-Numa Ducange et Louis Weber donnent à cette expression dans leur livre La gauche radicale en Europe, c'est à dire d'organisations rejetant l'économie de marché mais acceptant de jouer le jeu des élections contrairement à l'extrême-gauche (même si l'auteur de ces lignes est enclin à penser qu'il s'agit là de la gauche tout court...). Ces exemples sont observés avec attention en particulier par PRS, au point qu'en janvier 2008, Jean-Luc Mélenchon annonce à Éric Coquerel -alors à la tête du MARS-Gauche Républicaine, groupuscule issu de sa scission du MDC- et à Christian Picquet -cadre de la LCR en rupture avec le processus de transformation de son parti qui déboucherait sur le NPA- que si les courants de gauche au PS ne remportaient pas la victoire au prochain congrès du parti, il quitterait le PS pour créer un nouveau parti avec eux. C'est en effet ce qui arriva : pour la première fois au congrès de Reims, les différents courants de l'aile gauche du PS se présentèrent rassemblés, avec pour figure de proue un homme politique plus jeune que la moyenne des cadres du PS, Benoît Hamon ; cela n'empêcha pas leur motion d'échouer à 18,52%. Tandis que Benoît Hamon se ralliait à Martine Aubry dans l'espoir de barrer la route à Ségolène Royal, Jean-Luc Mélenchon, considérant qu'il n'y avait plus rien à espérer à l'intérieur du PS, annonce donc quitter le parti avec PRS.
PRS ne part cependant pas seule : un autre courant de l'aile gauche du PS, Forces Militantes, quitte en effet le parti, avec à sa tête le député du nord Marc Dolez. Ensemble, les deux courants se donnent le nom de Parti de Gauche et projettent un congrès de fondation en 2009. Dans l'intervalle, ils sont ralliés comme prévu par le MARS-Gauche Républicaine d'Éric Coquerel, par des gens du PS qui n'étaient dans aucun des deux courants, en particulier l'écologiste radicale Corinne Morel-Darleux qui venait du courant Utopia, mais aussi par le courant Gauche Écologiste emmené par Martine Billard qui fait sécession des Verts, ne voulant pas cautionner la dérive centriste de ceux-ci qui fusionnent alors avec Europe Écologie -Christian Picquet, en revanche, ne s'associe pas à eux contrairement à ce qui était initialement prévu, il créé son propre parti en quittant la LCR, Gauche Unitaire. C'est ainsi qu'est fondé le Parti de Gauche, créé par d'anciens membres du PS (dont beaucoup sont auparavant passés par les organisations trotskystes), des Verts et du MDC. Si la démarche est déjà rassembleuse et promet d'aboutir à quelque chose de neuf, au point que l'on qualifie le PG de "parti-creuset", ce parti qui ne compte alors qu'environ un millier d'adhérents n'a cependant pas vocation à rassembler la gauche sous sa seule bannière : pour cela, il compte sur la création du Front de Gauche.
En effet, les fondateurs du PG prennent aussitôt contact avec Gauche Unitaire mais aussi et surtout avec le PCF, voulant reproduire le modèle de Die Linke. La direction du PCF accepte le principe d'une démarche d'union : Marie-George Buffet a en effet tiré les leçons de son échec à l'élection présidentielle de 2007, elle sait que son parti ne pèse plus assez pour porter l'alternative à gauche ; par ailleurs, la création d'une coalition avec les deux petits partis que sont le PG et Gauche Unitaire permettrait au PCF de ne plus utiliser le nom de Parti Communiste Français, soupçonné d'être rejeté par les électeurs, sans réellement changer de nom pour autant, ce qui pourrait déclencher l'hostilité des militants. Les trois partis s'entendent donc pour créer une liste commune aux élections européennes qui porte les espoirs de ceux à gauche qui n'avaient pas voulu du TCE : le "Front de gauche pour changer d'Europe". Le NPA refuse quant à lui de se joindre à la coalition, probablement parce que le fait que Olivier Besancenot soit arrivé en tête des forces à gauche du PS à la présidentielle 2007 le laisse penser qu'il peut se passer d'alliés, de même que Lutte Ouvrière et le MRC de Jean-Pierre Chevènement.
L'expérience s'avère pourtant couronnée d'un succès étonnant : la liste "Front de gauche pour changer d'Europe" se hisse à 6% des voix, bien au-dessus du score du seul PCF à la présidentielle 2007 et au-dessus de celui du NPA, Jean-Luc Mélenchon entre autres est élu au Parlement européen. Face à cette réussite, l'alliance est reconduite en vue des élections régionales, cette fois sous le seul nom de Front de Gauche. Mais il s'agit d'un simple cartel de partis : on ne peut pas y adhérer directement, il faut adhérer au PCF, au PG ou à Gauche Unitaire pour la soutenir ; le PCF défend à l'origine l'idée de permettre d'y adhérer directement, ce qui ferait du Front de Gauche une force politique à part entière, mais le PG et Gauche Unitaire, qui comptent alors très peu d'adhérents, s'y opposent, voulant se donner le temps de construire leurs propres partis, sans quoi il n'y aurait pas de contrepoids au PCF ; par la suite, les positions s'inversent, le PG défend la possibilité d'une adhésion directe au Front de Gauche, dans l'objectif que celui-ci finisse par devenir un parti à part entière comme Die Linke, tandis que le nouveau secrétaire général du PCF, Pierre Laurent, s'y oppose, moins favorable au Front de Gauche que Marie-George Buffet.
Le Front de Gauche est donc finalement resté un cartel de partis, même si ce cartel restait alors uni à chaque élection.
PRS ne part cependant pas seule : un autre courant de l'aile gauche du PS, Forces Militantes, quitte en effet le parti, avec à sa tête le député du nord Marc Dolez. Ensemble, les deux courants se donnent le nom de Parti de Gauche et projettent un congrès de fondation en 2009. Dans l'intervalle, ils sont ralliés comme prévu par le MARS-Gauche Républicaine d'Éric Coquerel, par des gens du PS qui n'étaient dans aucun des deux courants, en particulier l'écologiste radicale Corinne Morel-Darleux qui venait du courant Utopia, mais aussi par le courant Gauche Écologiste emmené par Martine Billard qui fait sécession des Verts, ne voulant pas cautionner la dérive centriste de ceux-ci qui fusionnent alors avec Europe Écologie -Christian Picquet, en revanche, ne s'associe pas à eux contrairement à ce qui était initialement prévu, il créé son propre parti en quittant la LCR, Gauche Unitaire. C'est ainsi qu'est fondé le Parti de Gauche, créé par d'anciens membres du PS (dont beaucoup sont auparavant passés par les organisations trotskystes), des Verts et du MDC. Si la démarche est déjà rassembleuse et promet d'aboutir à quelque chose de neuf, au point que l'on qualifie le PG de "parti-creuset", ce parti qui ne compte alors qu'environ un millier d'adhérents n'a cependant pas vocation à rassembler la gauche sous sa seule bannière : pour cela, il compte sur la création du Front de Gauche.
En effet, les fondateurs du PG prennent aussitôt contact avec Gauche Unitaire mais aussi et surtout avec le PCF, voulant reproduire le modèle de Die Linke. La direction du PCF accepte le principe d'une démarche d'union : Marie-George Buffet a en effet tiré les leçons de son échec à l'élection présidentielle de 2007, elle sait que son parti ne pèse plus assez pour porter l'alternative à gauche ; par ailleurs, la création d'une coalition avec les deux petits partis que sont le PG et Gauche Unitaire permettrait au PCF de ne plus utiliser le nom de Parti Communiste Français, soupçonné d'être rejeté par les électeurs, sans réellement changer de nom pour autant, ce qui pourrait déclencher l'hostilité des militants. Les trois partis s'entendent donc pour créer une liste commune aux élections européennes qui porte les espoirs de ceux à gauche qui n'avaient pas voulu du TCE : le "Front de gauche pour changer d'Europe". Le NPA refuse quant à lui de se joindre à la coalition, probablement parce que le fait que Olivier Besancenot soit arrivé en tête des forces à gauche du PS à la présidentielle 2007 le laisse penser qu'il peut se passer d'alliés, de même que Lutte Ouvrière et le MRC de Jean-Pierre Chevènement.
L'expérience s'avère pourtant couronnée d'un succès étonnant : la liste "Front de gauche pour changer d'Europe" se hisse à 6% des voix, bien au-dessus du score du seul PCF à la présidentielle 2007 et au-dessus de celui du NPA, Jean-Luc Mélenchon entre autres est élu au Parlement européen. Face à cette réussite, l'alliance est reconduite en vue des élections régionales, cette fois sous le seul nom de Front de Gauche. Mais il s'agit d'un simple cartel de partis : on ne peut pas y adhérer directement, il faut adhérer au PCF, au PG ou à Gauche Unitaire pour la soutenir ; le PCF défend à l'origine l'idée de permettre d'y adhérer directement, ce qui ferait du Front de Gauche une force politique à part entière, mais le PG et Gauche Unitaire, qui comptent alors très peu d'adhérents, s'y opposent, voulant se donner le temps de construire leurs propres partis, sans quoi il n'y aurait pas de contrepoids au PCF ; par la suite, les positions s'inversent, le PG défend la possibilité d'une adhésion directe au Front de Gauche, dans l'objectif que celui-ci finisse par devenir un parti à part entière comme Die Linke, tandis que le nouveau secrétaire général du PCF, Pierre Laurent, s'y oppose, moins favorable au Front de Gauche que Marie-George Buffet.
Le Front de Gauche est donc finalement resté un cartel de partis, même si ce cartel restait alors uni à chaque élection.
III/ Le Front de Gauche à son apogée
J'obtiens le droit de vote en 2010, à mes dix-huit ans : cette année-là, Nicolas Sarkozy et son premier ministre François Fillon déclenchent une levée de boucliers avec une réforme des retraites allongeant la durée du temps de travail en dépit du chômage de masse frappant les jeunes et ce alors que le déficit des retraites était dû à la baisse des salaires ; je n'ai pas vraiment l'occasion de prendre part au mouvement, faible à Nice, surtout pour moi qui suis alors étudiant à sa faculté de droit. Cependant, j'observe avec attention, comme beaucoup de gens, les interventions de Jean-Luc Mélenchon pendant le mouvement, qui prend les positions les plus offensives ; il suscite l'agacement de ceux qui l'accusent d'être trop agressif, ce qui m'arrive parfois, mais attire l'attention et la sympathie de ceux qui recherchent un homme politique aux convictions solides, et c'est ainsi que le Front de Gauche s'impose dans le débat public et que Mélenchon lui-même s'impose comme la figure de proue de celui-ci.
Les années suivantes sont marquées par la progression du FN, les médias se mettant à vanter un changement de ce parti avant même que Marine le Pen ne soit arrivée à sa tête et faisant de ses thèmes de campagne les principaux enjeux du débat public ; mais dans le même temps, le Front de Gauche agrège peu à peu autour de lui de nouveaux partis tels que République & Socialisme (nouvelle dissidence du MRC), le Parti Communiste des Ouvriers Indépendants (ancien groupuscule maoïste), les Alternatifs (anciens du Parti Socialiste Unifié), Convergences & Alternatives et finalement Gauche Anticapitaliste (deux nouvelles scissions du NPA). Le Front de Gauche établit un programme développé, appuyé sur les travaux d'économistes comme Jacques Généreux, exempt des propositions inapplicables de Lutte Ouvrière et du NPA telles que le désarmement de la police ou l'interdiction des licenciements mais remettant en cause l'économie de marché contrairement au PS ; Jean-Luc Mélenchon se charge de l'expliquer avec ses talents d'orateur, servi par une campagne aux slogans percutants dirigée par son lieutenant François Delapierre.
Dans le même temps, je vois, comme beaucoup d'électeurs, ce qui restait de gauche au PS se liquéfier : Dominique Strauss-Kahn n'ayant pas pu se présenter à sa primaire, accusé de viol aux États-Unis, c'est François Hollande qui devient le favori pour se présenter à la présidentielle en son nom, louvoyant systématiquement sur d'éventuelles propositions de gauche ; émergent également à cette époque un candidat encore plus à droite que lui, Manuel Valls, sorte de clone de Sarkozy, ainsi que le député Arnaud Montebourg, qui se fait remarquer par son discours critique de la mondialisation mais ne prend que très peu de positions de gauche en matière sociale ; Martine Aubry rassemble quant à elle le centre historique du parti, je vote pour elle sans grande conviction, estimant qu'elle sera déjà plus à gauche que François Hollande et plus sérieuse que Arnaud Montebourg. Hélas, au second tour, c'est la douche froide : Arnaud Montebourg soutient François Hollande en dépit d'un discours qui semblait plus à gauche, permettant à celui-ci de l'emporter sur Martine Aubry.
Dans ces conditions, comme beaucoup, je vote pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l'élection présidentielle, même si certains aspects du personnage m'agacent et que je ne suis pas entièrement convaincu par son programme. Je suis le seul de mon entourage : ma famille qui vote traditionnellement PS le fait à nouveau, mon père disant admirer Jean-Luc Mélenchon mais craindre qu'il n'y ait pas de candidat de gauche au second tour si on ne se rassemble pas suffisamment derrière le PS, le FN étant haut dans les sondages, le peu de gens de gauche que je connais à la faculté de droit me diront la même chose ; Jean-Luc Mélenchon se hisse ainsi à 11% des voix, un score largement supérieur à celui de toutes les forces à gauche du PS depuis presque trois décennies, mais cette réussite de l'union à gauche du PS n'empêche pas que c'est François Hollande qui rassemble le plus de voix de gauche et parvient au second tour. Je vais voter à contrecœur au second tour, considérant que les provocations racistes de Nicolas Sarkozy et ses allusions pétainistes, suivant les idées de son conseiller maurassien Patrick Buisson, rendent urgent de débarrasser la politique française de ce sinistre personnage.
Malheureusement, François Hollande confirmera dès son arrivée au pouvoir mes pires craintes et même au-delà : à peine arrivé à l'Élysée, il signe en effet le Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance négocié par Nicolas Sarkozy et Angela Merckel qui enferre la France dans des politiques d'austérité en pleine crise économique, contrairement à ce qu'il avait promis pendant la campagne présidentielle ; tout ce qui en suivra sera une politique de destruction massive des services publics, de cadeaux fiscaux aux capitalistes (CICE, pacte de responsabilité) et d'écrasement des droits des travailleurs (loi El-Khomri) que n'aurait pas reniée Sarkozy, l'ouverture du contrat de mariage aux couples homosexuels sera presque la seule mesure de gauche du quinquennat, actant le basculement à droite du PS. Dans ces conditions, on aurait pu s'attendre à un décollage du Front de Gauche, les anciens électeurs du PS se reportant logiquement sur lui pour obtenir une politique de gauche ; mais c'est au contraire à ce moment-là qu'il s'est effondré.
Les années suivantes sont marquées par la progression du FN, les médias se mettant à vanter un changement de ce parti avant même que Marine le Pen ne soit arrivée à sa tête et faisant de ses thèmes de campagne les principaux enjeux du débat public ; mais dans le même temps, le Front de Gauche agrège peu à peu autour de lui de nouveaux partis tels que République & Socialisme (nouvelle dissidence du MRC), le Parti Communiste des Ouvriers Indépendants (ancien groupuscule maoïste), les Alternatifs (anciens du Parti Socialiste Unifié), Convergences & Alternatives et finalement Gauche Anticapitaliste (deux nouvelles scissions du NPA). Le Front de Gauche établit un programme développé, appuyé sur les travaux d'économistes comme Jacques Généreux, exempt des propositions inapplicables de Lutte Ouvrière et du NPA telles que le désarmement de la police ou l'interdiction des licenciements mais remettant en cause l'économie de marché contrairement au PS ; Jean-Luc Mélenchon se charge de l'expliquer avec ses talents d'orateur, servi par une campagne aux slogans percutants dirigée par son lieutenant François Delapierre.
Dans le même temps, je vois, comme beaucoup d'électeurs, ce qui restait de gauche au PS se liquéfier : Dominique Strauss-Kahn n'ayant pas pu se présenter à sa primaire, accusé de viol aux États-Unis, c'est François Hollande qui devient le favori pour se présenter à la présidentielle en son nom, louvoyant systématiquement sur d'éventuelles propositions de gauche ; émergent également à cette époque un candidat encore plus à droite que lui, Manuel Valls, sorte de clone de Sarkozy, ainsi que le député Arnaud Montebourg, qui se fait remarquer par son discours critique de la mondialisation mais ne prend que très peu de positions de gauche en matière sociale ; Martine Aubry rassemble quant à elle le centre historique du parti, je vote pour elle sans grande conviction, estimant qu'elle sera déjà plus à gauche que François Hollande et plus sérieuse que Arnaud Montebourg. Hélas, au second tour, c'est la douche froide : Arnaud Montebourg soutient François Hollande en dépit d'un discours qui semblait plus à gauche, permettant à celui-ci de l'emporter sur Martine Aubry.
Dans ces conditions, comme beaucoup, je vote pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l'élection présidentielle, même si certains aspects du personnage m'agacent et que je ne suis pas entièrement convaincu par son programme. Je suis le seul de mon entourage : ma famille qui vote traditionnellement PS le fait à nouveau, mon père disant admirer Jean-Luc Mélenchon mais craindre qu'il n'y ait pas de candidat de gauche au second tour si on ne se rassemble pas suffisamment derrière le PS, le FN étant haut dans les sondages, le peu de gens de gauche que je connais à la faculté de droit me diront la même chose ; Jean-Luc Mélenchon se hisse ainsi à 11% des voix, un score largement supérieur à celui de toutes les forces à gauche du PS depuis presque trois décennies, mais cette réussite de l'union à gauche du PS n'empêche pas que c'est François Hollande qui rassemble le plus de voix de gauche et parvient au second tour. Je vais voter à contrecœur au second tour, considérant que les provocations racistes de Nicolas Sarkozy et ses allusions pétainistes, suivant les idées de son conseiller maurassien Patrick Buisson, rendent urgent de débarrasser la politique française de ce sinistre personnage.
Malheureusement, François Hollande confirmera dès son arrivée au pouvoir mes pires craintes et même au-delà : à peine arrivé à l'Élysée, il signe en effet le Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance négocié par Nicolas Sarkozy et Angela Merckel qui enferre la France dans des politiques d'austérité en pleine crise économique, contrairement à ce qu'il avait promis pendant la campagne présidentielle ; tout ce qui en suivra sera une politique de destruction massive des services publics, de cadeaux fiscaux aux capitalistes (CICE, pacte de responsabilité) et d'écrasement des droits des travailleurs (loi El-Khomri) que n'aurait pas reniée Sarkozy, l'ouverture du contrat de mariage aux couples homosexuels sera presque la seule mesure de gauche du quinquennat, actant le basculement à droite du PS. Dans ces conditions, on aurait pu s'attendre à un décollage du Front de Gauche, les anciens électeurs du PS se reportant logiquement sur lui pour obtenir une politique de gauche ; mais c'est au contraire à ce moment-là qu'il s'est effondré.
Jean-Luc Mélenchon et Pierre Laurent, photographie de l'AFP disponible à cette adresse : https://www.ouest-france.fr/politique/parti-communiste/pierre-laurent-pcf-reste-pleinement-engage-avec-jean-luc-melenchon-4899361
IV/ Le Front se fracture
Les lézardes dans cette union à gauche du PS commencent en effet à apparaître dès 2012 : aux élections législatives de cette année, le PCF refuse la création d'une même association de financement pour l'argent obtenu par les candidats du Front de Gauche aux élections législatives, ce qui équivaut pour lui à s'accaparer la quasi-totalité de cet argent dans la mesure où ses partenaires lui avaient octroyé la primauté des candidatures dans l'immense majorité des circonscriptions ; en outre, Pierre Laurent laisse entendre que la question d'une participation de son parti à un gouvernement sous François Hollande pourrait se poser alors que c'est hors de question pour ses alliés du PG.
Cette désunion éclate finalement de façon spectaculaire aux élections municipales de 2014.
Cette année-là, je suis étudiant en master 1 en science politique et je réalise un mémoire sur un sujet proposé par les professeurs, la constitution des listes de candidats en vue des élections municipales ; je décide de travailler sur celles du PS et du Front de Gauche, à la fois parce que je suis curieux de voir quelles difficultés cela présente pour des partis qui se revendiquent comme étant de gauche dans une ville comme Nice où la gauche est depuis longtemps très minoritaire et parce que je veux prendre la température des organisations politiques pour éventuellement m'y engager. En effet, à Nice, le PCF, le PG et les quelques autres petites organisations du Front de Gauche (dont plusieurs commencent à cette époque à se regrouper sous le nom d'Ensemble, aboutissant à une étrange coalition de partis à l'intérieur de la coalition de partis) se sont mises d'accord pour refuser de faire liste commune avec le PS et se présenter en tant que Front de Gauche, d'anciens membres du NPA déçus par celui-ci viennent également s'y agglomérer (le NPA n'existe presque plus à Nice à cette époque, et Lutte Ouvrière ne parvient pas non plus à créer de liste) ; venant observer leurs meetings et m'entretenir avec les candidats pour mon enquête, je suis stupéfait et enthousiasmé par le sérieux et l'application qu'ils y mettent alors qu'ils risquent de faire un score très faible, le programme s'avère clair et chiffré. Simultanément, le cynisme affiché du PS sur lequel j'enquête en parallèle achève de me convaincre qu'il n'y a plus rien à attendre de ce parti. Convaincu et voulant contribuer à réparer l'injustice des faibles moyens dont dispose le Front de Gauche malgré son sérieux, je décide de rejoindre la campagne au mois de février : je contacte la cosecrétaire départementale du parti de la coalition dont je me sens le plus proche, le Parti de Gauche, pour lui annoncer mon adhésion et je commence à prendre part aux boîtages et aux tractages en marge de mon enquête. La campagne est dynamique, mais cela n'empêche pas la liste Front de Gauche de finir à 5,5% des voix au premier tour. Comme beaucoup de gens au Front de Gauche de Nice, je ne suis de prime abord pas hostile à une fusion technique avec le PS au second tour, voulant faire barrage à Christian Estrosi et à ses projets dévastateurs pour l'environnement à Nice-ouest ; cependant, les premiers mots qui sortent de la bouche de la tête de liste PS, Patrick Allemand, lorsqu'il est confronté au faible score de son parti, sont pour mépriser le Front de Gauche qui a refusé de faire liste commune avec lui et dire qu'il refuse qu'il y ait fusion technique, si bien que je voterai blanc au second tour. Ainsi s'achève ma première campagne pour le Front de Gauche... et ce sera aussi la dernière.
Car ailleurs qu'à Nice, le Front de Gauche s'est fracturé. À Paris, en particulier, Pierre Laurent et Ian Brossat ont accepté de faire liste commune avec le PS de l'ancienne adjointe de Bertrand Delanoë, Anne Hidalgo, forçant le PG à se présenter seul contre eux ; à Lyon aussi, les élus et les cadres du PC veulent imposer une alliance avec le PS, les adhérents votent contre deux fois de suite mais cela n'empêche pas certains d'entre eux de se présenter avec la majorité de Gérard Collomb, réputé, à juste titre, pour être l'homme le plus à droite du PS. Dans de nombreuses autres villes de France, la configuration a été la même, en particulier à Grenoble où, le PCF rompant là aussi le Front de Gauche pour rejoindre le PS, le Parti de Gauche l'a rompu à son tour pour s'allier à Europe Écologie-Les Verts -ce qui lui a permis d'arracher la mairie, mais pour ensuite se heurter à la difficile situation financière de celle-ci. Le Front de Gauche n'est ainsi plus une coalition mais une alliance à géométrie variable. Cela s'explique bien sûr par le fait que le PCF était dépendant de ses élus municipaux qui lui permettaient de se financer, or il était plus facile à ses élus de conserver leurs mandats en restant alliés au PS, d'autant que depuis Robert Hue, les élus participent à la direction du parti (sur le poids des élus locaux au sein du PCF, lire le recueil Les territoires du communisme du sociologue Julian Mischi et de l'historien Emmanuel Bellanger), même si cela signifiait plonger avec un PS devenu d'une impopularité spectaculaire avec la politique menée par François Hollande ; le PG, lui, pouvait se permettre des positions plus radicales à l'égard du PS du fait qu'il avait de toute façon peu d'élus à conserver, et il était d'autant plus enclin à le faire que ses militants avaient justement créé leur parti pour fuir le PS.
Les intérêts divergents du PCF et du PG ont donc fait voler en éclats la coalition ; cela ne serait pas arrivé si le Front de Gauche avait été intégré avec des adhérents directs et une structure propre, car chaque parti aurait alors eu trop à perdre pour mettre de côté cette alliance, cela n'avait pas posé problème sous Sarkozy lorsque le PS était encore dans l'opposition mais éclatait au grand jour à présent qu'il était au pouvoir et donc devenait l'adversaire du Front de Gauche. Les élections européennes ont suivi ensuite tandis que j'assistais à mes premières réunions au sein du PG des Alpes-Maritimes, et il s'en est fallu de peu pour qu'il y ait des listes Front de Gauche : le PG et Ensemble avaient en effet protesté contre la quasi-monopolisation des têtes de listes par le PCF avant qu'un accord ne soit finalement trouvé sur les deuxièmes noms des listes. Je ne pris pas part à cette campagne, me consacrant à rédiger mon premier mémoire, et à la fin de l'été, craignant à juste titre pour l'avenir du Front de Gauche et de mon nouveau parti, je partais poursuivre mes études dans le Rhône.
Cette désunion éclate finalement de façon spectaculaire aux élections municipales de 2014.
Cette année-là, je suis étudiant en master 1 en science politique et je réalise un mémoire sur un sujet proposé par les professeurs, la constitution des listes de candidats en vue des élections municipales ; je décide de travailler sur celles du PS et du Front de Gauche, à la fois parce que je suis curieux de voir quelles difficultés cela présente pour des partis qui se revendiquent comme étant de gauche dans une ville comme Nice où la gauche est depuis longtemps très minoritaire et parce que je veux prendre la température des organisations politiques pour éventuellement m'y engager. En effet, à Nice, le PCF, le PG et les quelques autres petites organisations du Front de Gauche (dont plusieurs commencent à cette époque à se regrouper sous le nom d'Ensemble, aboutissant à une étrange coalition de partis à l'intérieur de la coalition de partis) se sont mises d'accord pour refuser de faire liste commune avec le PS et se présenter en tant que Front de Gauche, d'anciens membres du NPA déçus par celui-ci viennent également s'y agglomérer (le NPA n'existe presque plus à Nice à cette époque, et Lutte Ouvrière ne parvient pas non plus à créer de liste) ; venant observer leurs meetings et m'entretenir avec les candidats pour mon enquête, je suis stupéfait et enthousiasmé par le sérieux et l'application qu'ils y mettent alors qu'ils risquent de faire un score très faible, le programme s'avère clair et chiffré. Simultanément, le cynisme affiché du PS sur lequel j'enquête en parallèle achève de me convaincre qu'il n'y a plus rien à attendre de ce parti. Convaincu et voulant contribuer à réparer l'injustice des faibles moyens dont dispose le Front de Gauche malgré son sérieux, je décide de rejoindre la campagne au mois de février : je contacte la cosecrétaire départementale du parti de la coalition dont je me sens le plus proche, le Parti de Gauche, pour lui annoncer mon adhésion et je commence à prendre part aux boîtages et aux tractages en marge de mon enquête. La campagne est dynamique, mais cela n'empêche pas la liste Front de Gauche de finir à 5,5% des voix au premier tour. Comme beaucoup de gens au Front de Gauche de Nice, je ne suis de prime abord pas hostile à une fusion technique avec le PS au second tour, voulant faire barrage à Christian Estrosi et à ses projets dévastateurs pour l'environnement à Nice-ouest ; cependant, les premiers mots qui sortent de la bouche de la tête de liste PS, Patrick Allemand, lorsqu'il est confronté au faible score de son parti, sont pour mépriser le Front de Gauche qui a refusé de faire liste commune avec lui et dire qu'il refuse qu'il y ait fusion technique, si bien que je voterai blanc au second tour. Ainsi s'achève ma première campagne pour le Front de Gauche... et ce sera aussi la dernière.
Car ailleurs qu'à Nice, le Front de Gauche s'est fracturé. À Paris, en particulier, Pierre Laurent et Ian Brossat ont accepté de faire liste commune avec le PS de l'ancienne adjointe de Bertrand Delanoë, Anne Hidalgo, forçant le PG à se présenter seul contre eux ; à Lyon aussi, les élus et les cadres du PC veulent imposer une alliance avec le PS, les adhérents votent contre deux fois de suite mais cela n'empêche pas certains d'entre eux de se présenter avec la majorité de Gérard Collomb, réputé, à juste titre, pour être l'homme le plus à droite du PS. Dans de nombreuses autres villes de France, la configuration a été la même, en particulier à Grenoble où, le PCF rompant là aussi le Front de Gauche pour rejoindre le PS, le Parti de Gauche l'a rompu à son tour pour s'allier à Europe Écologie-Les Verts -ce qui lui a permis d'arracher la mairie, mais pour ensuite se heurter à la difficile situation financière de celle-ci. Le Front de Gauche n'est ainsi plus une coalition mais une alliance à géométrie variable. Cela s'explique bien sûr par le fait que le PCF était dépendant de ses élus municipaux qui lui permettaient de se financer, or il était plus facile à ses élus de conserver leurs mandats en restant alliés au PS, d'autant que depuis Robert Hue, les élus participent à la direction du parti (sur le poids des élus locaux au sein du PCF, lire le recueil Les territoires du communisme du sociologue Julian Mischi et de l'historien Emmanuel Bellanger), même si cela signifiait plonger avec un PS devenu d'une impopularité spectaculaire avec la politique menée par François Hollande ; le PG, lui, pouvait se permettre des positions plus radicales à l'égard du PS du fait qu'il avait de toute façon peu d'élus à conserver, et il était d'autant plus enclin à le faire que ses militants avaient justement créé leur parti pour fuir le PS.
Les intérêts divergents du PCF et du PG ont donc fait voler en éclats la coalition ; cela ne serait pas arrivé si le Front de Gauche avait été intégré avec des adhérents directs et une structure propre, car chaque parti aurait alors eu trop à perdre pour mettre de côté cette alliance, cela n'avait pas posé problème sous Sarkozy lorsque le PS était encore dans l'opposition mais éclatait au grand jour à présent qu'il était au pouvoir et donc devenait l'adversaire du Front de Gauche. Les élections européennes ont suivi ensuite tandis que j'assistais à mes premières réunions au sein du PG des Alpes-Maritimes, et il s'en est fallu de peu pour qu'il y ait des listes Front de Gauche : le PG et Ensemble avaient en effet protesté contre la quasi-monopolisation des têtes de listes par le PCF avant qu'un accord ne soit finalement trouvé sur les deuxièmes noms des listes. Je ne pris pas part à cette campagne, me consacrant à rédiger mon premier mémoire, et à la fin de l'été, craignant à juste titre pour l'avenir du Front de Gauche et de mon nouveau parti, je partais poursuivre mes études dans le Rhône.
V/ En perdition
Le PG du Rhône, à cette époque, avait encore gardé une force considérable des beaux jours du Front de Gauche : si le comité de la ville où j'habitais, Saint-Priest, était petit et peu actif, le parti avait en revanche un réseau jeunes puissant et bien organisé, je fus ébahi de voir que plus de quarante personnes assistaient à ma première réunion au sein du réseau jeunes alors que l'assemblée générale du PG des Alpes-Maritimes dépassait à peine les vingt personnes ! Les assemblées générales à Lyon réunissaient quant à elles entre quarante et cinquante personnes. Cela nous a permis de nous mobiliser de façon conséquente en 2014-2015 pour les (nouvelles) élections municipales à Vénissieux, où le PC se maintenait au pouvoir avec une large coalition allant du PRG au PG, pour soutenir Syriza à son arrivée au pouvoir en Grèce ou encore contre le licenciement massif aux usines Berliet à Saint-Priest. Pourtant, le poids de l'incertitude pesait sur nos épaules : qu'allions-nous faire de notre parti et du Front de Gauche, à présent ? Et comment nous faire entendre alors que l'extrême-droite était érigée en principale alternative au pouvoir à la faveur d'un matraquage médiatique impressionnant ?
Une réponse était tombée du niveau national à l'été 2014 : Jean-Luc Mélenchon et Martine Billard avaient alors annoncé leur démission de la co-présidence du PG, postes qu'ils supprimaient, et la création d'un Mouvement pour la 6ème République ; mais un mouvement pour quoi faire, au juste ? Si remettre en cause la Vème République était et est toujours impératif à gauche, rien ne disait alors à quoi devait servir ce mouvement : à remplacer le Front de Gauche par un mouvement auquel une adhésion directe (non-payante) soit possible ? Ou était-ce un simple instrument de propagande ? Qu'était censé faire exactement ce M6R ? Faute de réponse à cette question, personne ne savait comment s'en saisir exactement. D'autant que les préparatifs aux élections régionales qui devaient se tenir fin 2015 sont arrivés et que l'idée de les placer sous la bannière de la VIème République y a vite été écartée, les élections régionales ne permettant pas de la remettre en cause et l'enjeu n'étant pas forcément le plus concret pour les électeurs. Nous restions donc dans le flou.
L'année 2015 fut catastrophique pour la gauche. Elle s'ouvrit avec les attentats de Charlie-Hebdo, qui permit une libération spectaculaire de la parole raciste, y compris au sein du PS ; un peu plus tard, nos alliés de Syriza parvenaient au pouvoir en Grèce et commençaient aussitôt à prendre des mesures de gauche sur les salaires et les services publics, exigeant une renégociation de leur dette, mais les autres pays de l'Union Européenne les étranglaient en leur coupant purement et simplement l'accès à l'euro grâce à la Banque Centrale Européenne, jusqu'à ce que le Premier Ministre grec Alexis Tsipras finisse par céder et accepter des politiques d'austérité pires encore que les précédentes. Cela contribua à creuser davantage encore le gouffre qui s'était ouvert entre le PCF et le PG : le premier maintint son soutien à Tsipras, considérant qu'il n'avait pas eu le choix, tandis que le PG protestait qu'il aurait encore mieux valu sortir de l'euro que de renoncer au programme de Syriza. Les positions du PCF et du PG sur la question de l'Union Européenne étaient divergentes dès le départ, le PC étant partisan de simplement renégocier les traités avec les différents pays de l'Union Européenne tandis que le PG défendait depuis 2011 l'idée de désobéir aux traités dès l'arrivée au pouvoir pour ne pas remettre un changement de politique aux calendes grecques (si j'ose dire) ; le désaccord avait été laissé dans l'ombre en 2012, mais à présent il éclatait au grand jour, conduisant le PG à adopter au congrès de Villejuif à l'été 2015 la célèbre ligne "Plan A / Plan B", impliquant la désobéissance aux traités européens dès l'arrivée au pouvoir tout en demandant leur renégociation et la sortie, si possible en groupe, de l'Union Européenne en cas d'échec de cette renégociation.
Les élections départementales (il n'y en eut pas à Lyon en raison de la mise en place de la métropole) et surtout régionales de 2015 donnèrent le coup de grâce au Front de Gauche dans les urnes.
Personne au PG ne croyant que notre parti pouvait peser seul tout en ayant conscience que nous ne pouvions plus nous en remettre au Front de Gauche, nous avons décidé en Rhône-Alpes/Auvergne de donner pour cadre à de futures alliances plusieurs garanties de changement de politique sociale, économique et environnementale, ainsi que des conditions destinées à rendre notre liste plus représentative des citoyens, en particulier le refus du cumul des mandats ainsi que l'organisation d'assemblées citoyennes ouvertes au-delà des adhérents de parti pour mener la campagne et élaborer le programme -il n'y eut pas de négociations nationales, tant le PCF que EELV s'y refusaient. Ces conditions furent acceptées par EELV en Rhône-Alpes/Auvergne ainsi que par Ensemble, qui dans l'intervalle était devenu un véritable parti politique ; le PCF nous fit en revanche savoir au cours de l'été qu'il les refusait, tenant à pouvoir mettre sur la liste des élus en situation de cumul des mandats et considérant que les candidatures "citoyennes" devaient être apportées par chaque parti plutôt qu'en être indépendantes. On discuta au sein d'une coordination régionale pour savoir s'il fallait accepter de rompre la charte que nous avions fixée notamment sur le cumul des mandats pour faire alliance avec le PC ; comme la majorité des camarades, je défendis l'idée que nous avions moins besoin des voix du PCF que de cohérence politique et qu'il ne fallait donc pas céder, c'est ainsi que fut enterrée l'alliance avec le PC en Rhône-Alpes/Auvergne tandis que nous partions en campagne avec EELV et Ensemble. Ailleurs en France, il y eut des régions où le Front de Gauche parvint à rester uni, d'autres trop rares où il y eut une alliance de l'ensemble du Front de Gauche avec EELV (Occitanie, Provence-Alpes-Côte d'Azur), d'autres encore où seuls le PC et EELV étaient représentés ; partout, le PG céda les têtes de liste à ses partenaires, voulant ne reculer devant aucun sacrifice pour permettre l'union de la gauche.
Le résultat fut catastrophique. Cet éclatement des situations avait empêché toute campagne nationale pour la gauche dans son ensemble, et en Rhône-Alpes/Auvergne, notre liste et celle du PC s'entre-détruisirent, d'autant que la campagne était principalement dirigée par EELV qui la rendit molle au possible, n'attaquant qu'à la marge les politiques d'austérité et la destruction des droits des travailleurs ; notre liste finit à 7,5%, à peine au-dessus de celle du PCF, et un cataclysme identique frappa toutes les autres listes de gauche en France, même l'union de la gauche tant vantée en Occitanie échoua à 10%. Cet échec dramatique fut en plus suivi de fusions techniques avec les listes du PS au second tour pour obtenir des élus correspondant à nos voix, ce qui fut vivement contesté au sein du Parti de Gauche, je ne l'aurais moi-même admis qu'à condition que nous soyons devant le PS. J'avais soutenu l'alliance avec EELV, mais comme beaucoup de camarades, ce désastre acta pour moi le fait que nous devions absolument rompre avec la logique mortifère des cartels de partis, et donc avec le Front de Gauche.
Une réponse était tombée du niveau national à l'été 2014 : Jean-Luc Mélenchon et Martine Billard avaient alors annoncé leur démission de la co-présidence du PG, postes qu'ils supprimaient, et la création d'un Mouvement pour la 6ème République ; mais un mouvement pour quoi faire, au juste ? Si remettre en cause la Vème République était et est toujours impératif à gauche, rien ne disait alors à quoi devait servir ce mouvement : à remplacer le Front de Gauche par un mouvement auquel une adhésion directe (non-payante) soit possible ? Ou était-ce un simple instrument de propagande ? Qu'était censé faire exactement ce M6R ? Faute de réponse à cette question, personne ne savait comment s'en saisir exactement. D'autant que les préparatifs aux élections régionales qui devaient se tenir fin 2015 sont arrivés et que l'idée de les placer sous la bannière de la VIème République y a vite été écartée, les élections régionales ne permettant pas de la remettre en cause et l'enjeu n'étant pas forcément le plus concret pour les électeurs. Nous restions donc dans le flou.
L'année 2015 fut catastrophique pour la gauche. Elle s'ouvrit avec les attentats de Charlie-Hebdo, qui permit une libération spectaculaire de la parole raciste, y compris au sein du PS ; un peu plus tard, nos alliés de Syriza parvenaient au pouvoir en Grèce et commençaient aussitôt à prendre des mesures de gauche sur les salaires et les services publics, exigeant une renégociation de leur dette, mais les autres pays de l'Union Européenne les étranglaient en leur coupant purement et simplement l'accès à l'euro grâce à la Banque Centrale Européenne, jusqu'à ce que le Premier Ministre grec Alexis Tsipras finisse par céder et accepter des politiques d'austérité pires encore que les précédentes. Cela contribua à creuser davantage encore le gouffre qui s'était ouvert entre le PCF et le PG : le premier maintint son soutien à Tsipras, considérant qu'il n'avait pas eu le choix, tandis que le PG protestait qu'il aurait encore mieux valu sortir de l'euro que de renoncer au programme de Syriza. Les positions du PCF et du PG sur la question de l'Union Européenne étaient divergentes dès le départ, le PC étant partisan de simplement renégocier les traités avec les différents pays de l'Union Européenne tandis que le PG défendait depuis 2011 l'idée de désobéir aux traités dès l'arrivée au pouvoir pour ne pas remettre un changement de politique aux calendes grecques (si j'ose dire) ; le désaccord avait été laissé dans l'ombre en 2012, mais à présent il éclatait au grand jour, conduisant le PG à adopter au congrès de Villejuif à l'été 2015 la célèbre ligne "Plan A / Plan B", impliquant la désobéissance aux traités européens dès l'arrivée au pouvoir tout en demandant leur renégociation et la sortie, si possible en groupe, de l'Union Européenne en cas d'échec de cette renégociation.
Les élections départementales (il n'y en eut pas à Lyon en raison de la mise en place de la métropole) et surtout régionales de 2015 donnèrent le coup de grâce au Front de Gauche dans les urnes.
Personne au PG ne croyant que notre parti pouvait peser seul tout en ayant conscience que nous ne pouvions plus nous en remettre au Front de Gauche, nous avons décidé en Rhône-Alpes/Auvergne de donner pour cadre à de futures alliances plusieurs garanties de changement de politique sociale, économique et environnementale, ainsi que des conditions destinées à rendre notre liste plus représentative des citoyens, en particulier le refus du cumul des mandats ainsi que l'organisation d'assemblées citoyennes ouvertes au-delà des adhérents de parti pour mener la campagne et élaborer le programme -il n'y eut pas de négociations nationales, tant le PCF que EELV s'y refusaient. Ces conditions furent acceptées par EELV en Rhône-Alpes/Auvergne ainsi que par Ensemble, qui dans l'intervalle était devenu un véritable parti politique ; le PCF nous fit en revanche savoir au cours de l'été qu'il les refusait, tenant à pouvoir mettre sur la liste des élus en situation de cumul des mandats et considérant que les candidatures "citoyennes" devaient être apportées par chaque parti plutôt qu'en être indépendantes. On discuta au sein d'une coordination régionale pour savoir s'il fallait accepter de rompre la charte que nous avions fixée notamment sur le cumul des mandats pour faire alliance avec le PC ; comme la majorité des camarades, je défendis l'idée que nous avions moins besoin des voix du PCF que de cohérence politique et qu'il ne fallait donc pas céder, c'est ainsi que fut enterrée l'alliance avec le PC en Rhône-Alpes/Auvergne tandis que nous partions en campagne avec EELV et Ensemble. Ailleurs en France, il y eut des régions où le Front de Gauche parvint à rester uni, d'autres trop rares où il y eut une alliance de l'ensemble du Front de Gauche avec EELV (Occitanie, Provence-Alpes-Côte d'Azur), d'autres encore où seuls le PC et EELV étaient représentés ; partout, le PG céda les têtes de liste à ses partenaires, voulant ne reculer devant aucun sacrifice pour permettre l'union de la gauche.
Le résultat fut catastrophique. Cet éclatement des situations avait empêché toute campagne nationale pour la gauche dans son ensemble, et en Rhône-Alpes/Auvergne, notre liste et celle du PC s'entre-détruisirent, d'autant que la campagne était principalement dirigée par EELV qui la rendit molle au possible, n'attaquant qu'à la marge les politiques d'austérité et la destruction des droits des travailleurs ; notre liste finit à 7,5%, à peine au-dessus de celle du PCF, et un cataclysme identique frappa toutes les autres listes de gauche en France, même l'union de la gauche tant vantée en Occitanie échoua à 10%. Cet échec dramatique fut en plus suivi de fusions techniques avec les listes du PS au second tour pour obtenir des élus correspondant à nos voix, ce qui fut vivement contesté au sein du Parti de Gauche, je ne l'aurais moi-même admis qu'à condition que nous soyons devant le PS. J'avais soutenu l'alliance avec EELV, mais comme beaucoup de camarades, ce désastre acta pour moi le fait que nous devions absolument rompre avec la logique mortifère des cartels de partis, et donc avec le Front de Gauche.
VI/ La fin du Front
Il n'y eut cependant aucune prise de conscience des raisons qui avaient mené à cette situation chez nos alliés, bien au contraire : lorsqu'après les attentats de novembre 2015, François Hollande et son premier ministre Manuel Valls firent reconduire l'état d'urgence encore et encore, établissant une restriction permanente de l'État de droit qui fut utilisée avant tout contre les militants écologistes, ces reconductions furent votées par les députés du PCF, ainsi que par Marc Dolez qui avait quitté le PG en se plaignant que Jean-Luc Mélenchon était trop critique envers le PS ; un autre sujet de grave discorde fut le soutien de la direction du PCF au projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes, elle se permit même d'apposer le logo du Front de Gauche sur des affiches défendant ce grand projet inutile et imposé, sachant pertinamment que le PG y était pourtant hostile -la question écologique avait toujours été un sujet d'opposition entre PG et PC, la sortie du nucléaire notamment était remise à un référendum dans le programme de 2012 pour ne froisser aucun des deux partis. Enfin, Cécile Duflot pour EELV, Clémentine Autain pour Ensemble et Pierre Laurent pour le PCF se mirent à parler de faire une primaire "de toute la gauche" avec le PS en vue de l'élection présidentielle, ce qui était inacceptable pour le PG. Dès lors, il m'apparaissait clairement, comme à de nombreux camarades du Rhône et ailleurs en France que nous ne pouvions plus faire alliance avec eux à moins d'avoir un programme commun clair et des conditions strictes quant au refus des alliances avec le PS, et que si nous n'obtenions pas cela, il nous faudrait pour la première fois dans l'histoire du PG partir en campagne seuls.
Cela fut l'objet d'âpres débats dans le Rhône comme ailleurs. Nous étions nombreux en particulier au réseau jeunes à penser qu'il ne devait plus être question de cartel de partis avec des alliés qui redevenaient des satellites du PS dès qu'ils y avaient intérêt, mais d'autres camarades, notamment parmi les plus âgés, nous reprochaient de vouloir agir comme le NPA ; le conseil national du parti vota une résolution prenant acte de l'échec du Front de Gauche et proposant une nouvelle candidature de Jean-Luc Mélenchon à l'élection présidentielle de 2017, appuyée par un mouvement auquel pourraient adhérer des gens hors du PG. Un peu plus tard, en février 2016, peu avant que le mouvement contre la loi El-Khomri ne réveille l'opposition de gauche, Jean-Luc Mélenchon annonçait sa candidature et la création d'une organisation à laquelle pouvait se joindre quiconque voulait soutenir sa campagne sur la base des principes qui avaient déjà guidé le programme du Front de Gauche, sans qu'il n'y ait d'adhésion payante ou de structuration locale prédéfinie : la France Insoumise était née.
Cette fois, c'était sûr, c'était la fin d'une époque et le début d'une nouvelle.
Cela fut l'objet d'âpres débats dans le Rhône comme ailleurs. Nous étions nombreux en particulier au réseau jeunes à penser qu'il ne devait plus être question de cartel de partis avec des alliés qui redevenaient des satellites du PS dès qu'ils y avaient intérêt, mais d'autres camarades, notamment parmi les plus âgés, nous reprochaient de vouloir agir comme le NPA ; le conseil national du parti vota une résolution prenant acte de l'échec du Front de Gauche et proposant une nouvelle candidature de Jean-Luc Mélenchon à l'élection présidentielle de 2017, appuyée par un mouvement auquel pourraient adhérer des gens hors du PG. Un peu plus tard, en février 2016, peu avant que le mouvement contre la loi El-Khomri ne réveille l'opposition de gauche, Jean-Luc Mélenchon annonçait sa candidature et la création d'une organisation à laquelle pouvait se joindre quiconque voulait soutenir sa campagne sur la base des principes qui avaient déjà guidé le programme du Front de Gauche, sans qu'il n'y ait d'adhésion payante ou de structuration locale prédéfinie : la France Insoumise était née.
Cette fois, c'était sûr, c'était la fin d'une époque et le début d'une nouvelle.
Conclusion
On le voit, le Front de Gauche n'aura finalement été qu'une étape dans la recomposition de la gauche française consécutivement au passage à droite puis à l'effondrement du PS, et peut-être la France Insoumise n'en est-elle elle-même qu'une autre qui trouvera tôt ou tard ses propres limites.
Toujours est-il que cette expérience à laquelle j'ai pris part au moment précis où elle plongeait dans l'abîme aura été instructive. Le Front de Gauche a été capable de progresser et d'incarner l'espoir de millions de travailleurs tant qu'il portait une ligne politique claire, la rupture avec le néolibéralisme imposé au moyen des traités européens ; dès lors que ses différentes composantes n'ont plus été d'accord sur l'attitude à tenir vis-à-vis du PS une fois celui-ci passé à droite au pouvoir, dès lors que les travailleurs ont pu avoir un doute sur le fait qu'il incarnait la rupture avec les politiques qu'ils subissaient, le Front de Gauche s'est mis à reculer avant de finalement exploser. C'est pour rétablir cette opposition univoque au néolibéralisme que Jean-Luc Mélenchon a créé la France Insoumise, afin d'avoir une base plus large que le PG pour l'incarner. L'union de la gauche, si on doit la souhaiter la plus large possible, ne peut se faire que sur la base d'un programme et d'une stratégie communes, qui doivent proposer la politique la plus radicale possible (et possible seulement, il ne peut être question de renouer avec les propositions inapplicables de l'extrême-gauche) pour suivre le mouvement de radicalisation des masses à la recherche d'une échappatoire en situation de crise du capitalisme.
Toujours est-il que cette expérience à laquelle j'ai pris part au moment précis où elle plongeait dans l'abîme aura été instructive. Le Front de Gauche a été capable de progresser et d'incarner l'espoir de millions de travailleurs tant qu'il portait une ligne politique claire, la rupture avec le néolibéralisme imposé au moyen des traités européens ; dès lors que ses différentes composantes n'ont plus été d'accord sur l'attitude à tenir vis-à-vis du PS une fois celui-ci passé à droite au pouvoir, dès lors que les travailleurs ont pu avoir un doute sur le fait qu'il incarnait la rupture avec les politiques qu'ils subissaient, le Front de Gauche s'est mis à reculer avant de finalement exploser. C'est pour rétablir cette opposition univoque au néolibéralisme que Jean-Luc Mélenchon a créé la France Insoumise, afin d'avoir une base plus large que le PG pour l'incarner. L'union de la gauche, si on doit la souhaiter la plus large possible, ne peut se faire que sur la base d'un programme et d'une stratégie communes, qui doivent proposer la politique la plus radicale possible (et possible seulement, il ne peut être question de renouer avec les propositions inapplicables de l'extrême-gauche) pour suivre le mouvement de radicalisation des masses à la recherche d'une échappatoire en situation de crise du capitalisme.