Les musiques de Richard Wagner, Rammstein et Tokio Hotel se valent-elles ?
C'est un grand classique : vous parlez de musique et quelqu'un fait une plaisanterie sur Justin Bieber. Ou sur One Direction, ou sur Tokio Hotel si vous êtes un peu rétro. Là-dessus, une fangirl indignée se mêle à la conversation et vous dit que vous êtes intolérants avec ses goûts et que, de toute façon, "Les goûts, ça ne se discute pas"... Le premier argument est facile à contrer : dire qu'on n'aime pas quelque chose et qu'on le trouve mauvais, ça n'empêche personne de l'apprécier, ce n'est donc pas de l'intolérance et ce sont plutôt les personnes qui crient à l'intolérance pour cela qui sont intolérantes. Le second est plus problématique : les goûts, par nature, ne se discuteraient pas parce qu'ils sont trop subjectifs, croyance institutionnalisée par l'adage "Les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas". Et là, vous êtes embêté, parce qu'il s'agit tout de même d'une croyance très partagée, qui a pris la force d'une évidence ; par ailleurs, vous savez bien que, en effet, les discussions de goût ne mènent généralement pas à grand chose... Si vous discutez avec quelqu'un qui vous dit que Metallica c'est nul alors que vous trouvez ça super, il y a 95% de chances pour qu'aucun de vous deux n'ait changé d'avis à la fin de la conversation. Ça vaut aussi pour le cinéma, les jeux vidéos ou les livres, par exemple : l'appréciation est quelque chose de très personnel !
Et pourtant, vous sentez bien qu'il y aurait quelque chose à répondre à cette fangirl... Alors ne vous frappez pas trop la prochaine fois que ça vous arrive, nous allons voir pourquoi c'est loin d'être aussi simple.
Parce que si, il y a des cas où les goûts, ça se discute. Parce que non, tout dans les goûts est loin d'être subjectif et personnel.
Et cela tient principalement à la notion d'originalité, car l'originalité est quelque chose d'objectif : on peut objectivement démontrer qu'une musique (ou un livre, ou un film, mais je parle ici de ce que je connais le mieux) n'invente rien ou pas grand chose : mêmes gammes que ce qui se faisait auparavant, mêmes instruments, mêmes structures, mêmes sons, même façon de chanter, mêmes rôles assignés aux instruments, même articulation entre eux, rythme proche voire identique, riff plagié comme cela arrive parfois dans le rock... Aïe. Là, pour le coup, vous avez un moyen très objectif de démontrer que non, une musique ne casse pas grand chose ! Et c'est justement courant avec les musiques qui passent à la radio : on pense souvent à des "artistes" ayant un public jeune parce que c'est plus facile de taper dessus (Jonas Brothers, One Direction et j'en passe), mais est-ce que des Lady Gaga, David Guetta et Britney Spears font mieux ? Pas sûr, car tout cela présente tout de même des ressemblances qui font des musiques radiophoniques (qu'elles soient étiquetées "pop", "pop-rock" ou "rap") un tout assez indistinct... Voilà ce qui fait que les écouter est si mal vu : non qu'elles soient désagréables à l'oreille, mais ces musiques ont souvent un certain formatage, elles reprennent des caractéristiques de ce qui a été populaire avant pour être sûres de toucher un public large, ce qui mène au manque de renouvellement, à une certaine consanguinité... Ceci dit, que personne ne s'y trompe, cette consanguinité n'est pas propre aux musiques qui se vendent le mieux : des genres comme le metal ou la musique industrielle ont également eu leurs bataillons d'opportunistes n'apportant pas grand chose. Mais ne nous égarons pas : lorsqu'une musique ne s'éloigne pas des grosses ficelles d'un genre, vous êtes en droit de dire que vous trouvez ça nul et non pas simplement que "j'aime pas", parce que là, oui, les goûts, ça se discute.
On pourrait être tenté d'ajouter un autre critère à ce qui fait qu'une musique peut être objectivement déconsidérée : celui de la simplicité. Ça paraît naturel, après tout : pourquoi une musique aussi riche que celles de Wagner ou Beethoven devrait-elle être assimilée à une musique qui ne fait jamais que passer en boucle quelques notes prémâchées ? Comment peut-on dire que les deux sont aussi travaillées ? Certes, mais attention tout de même, car une telle argumentation néglige le fait que la simplicité peut être un choix délibéré pour une musique : ne faire que de la complexité, n'est-ce pas négliger certaines possibilités musicales ? La simplicité n'apporte-t-elle pas quelque chose en elle-même ? Le groupe pionnier de l'EBM DAF, avec sa musique simple et répétitive, est un bon exemple de ce choix ; alors, ne crachons pas sur la simplicité qui n'est pas forcément une pauvreté !
Mais pourquoi discuter de goûts, me direz-vous, même si c'est possible ? C'est pourtant positif pour la personne avec qui vous en parlez : ce serait bête d'en rester à votre connaissance de tel "artiste" en croyant qu'il est le plus grand qui ait jamais existé alors que vous pourriez découvrir qu'il n'est qu'une pâle copie d'un autre qui vous ferait beaucoup plus d'effet, non ?
Il faut bien sûr nuancer le propos, car les cas où l'on peut objectivement dire que telle œuvre est plus réussie que telle autre ne sont pas les seuls : il y a ceux où des artistes bénéficient d'une reconnaissance égale comme originaux et intéressants de la part de gens qui connaissent bien leur domaine, les cas où on peut constater qu'ils ont bien créé quelque chose d'intéressant. Dans ces cas-là, effectivement, la subjectivité des goûts reprend le dessus : est-il vraiment utile de chercher qui est le meilleur entre Iron Maiden et Metallica ? Entre Einstürzende Neubauten et Laibach ? Entre Depeche Mode et Kraftwerk ? C'est encore plus vrai si vous commencez à faire des comparaisons entre des artistes difficilement comparables : qui est assez fou pour se demander qui est le meilleur entre Mozart et les Beatles ? L'effet recherché par leurs œuvres est très différent... Chercher à hiérarchiser n'a donc plus grand sens dans ces cas-là. Cela ne veut pas dire que la discussion est inintéressante : elle permet de comprendre pourquoi l'autre aime ceci ou cela et pourquoi on a soi-même telle ou telle préférence. Pour le reste, ne vous prenez donc pas la tête !
Alors, que les goûts ne se discutent pas, c'est vrai dans certains cas, et de toute façon, il peut arriver qu'on aime une œuvre tout en étant conscient de sa mauvaise qualité, pourquoi pas ? Il y a par ailleurs toute une part de construction sociale dans le goût, analysée en d'autres temps par le grand Pierre Bourdieu. Mais qu'on ne vienne plus nous dire que tout se vaut et que toute discussion est interdite, car recourir à tout bout de champ à l’égout et les couleurs n'est ni plus ni moins que de la censure, probablement de la part de personnes qui se sentent mal à l'aise dans une conversation.
Et pourtant, vous sentez bien qu'il y aurait quelque chose à répondre à cette fangirl... Alors ne vous frappez pas trop la prochaine fois que ça vous arrive, nous allons voir pourquoi c'est loin d'être aussi simple.
Parce que si, il y a des cas où les goûts, ça se discute. Parce que non, tout dans les goûts est loin d'être subjectif et personnel.
Et cela tient principalement à la notion d'originalité, car l'originalité est quelque chose d'objectif : on peut objectivement démontrer qu'une musique (ou un livre, ou un film, mais je parle ici de ce que je connais le mieux) n'invente rien ou pas grand chose : mêmes gammes que ce qui se faisait auparavant, mêmes instruments, mêmes structures, mêmes sons, même façon de chanter, mêmes rôles assignés aux instruments, même articulation entre eux, rythme proche voire identique, riff plagié comme cela arrive parfois dans le rock... Aïe. Là, pour le coup, vous avez un moyen très objectif de démontrer que non, une musique ne casse pas grand chose ! Et c'est justement courant avec les musiques qui passent à la radio : on pense souvent à des "artistes" ayant un public jeune parce que c'est plus facile de taper dessus (Jonas Brothers, One Direction et j'en passe), mais est-ce que des Lady Gaga, David Guetta et Britney Spears font mieux ? Pas sûr, car tout cela présente tout de même des ressemblances qui font des musiques radiophoniques (qu'elles soient étiquetées "pop", "pop-rock" ou "rap") un tout assez indistinct... Voilà ce qui fait que les écouter est si mal vu : non qu'elles soient désagréables à l'oreille, mais ces musiques ont souvent un certain formatage, elles reprennent des caractéristiques de ce qui a été populaire avant pour être sûres de toucher un public large, ce qui mène au manque de renouvellement, à une certaine consanguinité... Ceci dit, que personne ne s'y trompe, cette consanguinité n'est pas propre aux musiques qui se vendent le mieux : des genres comme le metal ou la musique industrielle ont également eu leurs bataillons d'opportunistes n'apportant pas grand chose. Mais ne nous égarons pas : lorsqu'une musique ne s'éloigne pas des grosses ficelles d'un genre, vous êtes en droit de dire que vous trouvez ça nul et non pas simplement que "j'aime pas", parce que là, oui, les goûts, ça se discute.
On pourrait être tenté d'ajouter un autre critère à ce qui fait qu'une musique peut être objectivement déconsidérée : celui de la simplicité. Ça paraît naturel, après tout : pourquoi une musique aussi riche que celles de Wagner ou Beethoven devrait-elle être assimilée à une musique qui ne fait jamais que passer en boucle quelques notes prémâchées ? Comment peut-on dire que les deux sont aussi travaillées ? Certes, mais attention tout de même, car une telle argumentation néglige le fait que la simplicité peut être un choix délibéré pour une musique : ne faire que de la complexité, n'est-ce pas négliger certaines possibilités musicales ? La simplicité n'apporte-t-elle pas quelque chose en elle-même ? Le groupe pionnier de l'EBM DAF, avec sa musique simple et répétitive, est un bon exemple de ce choix ; alors, ne crachons pas sur la simplicité qui n'est pas forcément une pauvreté !
Mais pourquoi discuter de goûts, me direz-vous, même si c'est possible ? C'est pourtant positif pour la personne avec qui vous en parlez : ce serait bête d'en rester à votre connaissance de tel "artiste" en croyant qu'il est le plus grand qui ait jamais existé alors que vous pourriez découvrir qu'il n'est qu'une pâle copie d'un autre qui vous ferait beaucoup plus d'effet, non ?
Il faut bien sûr nuancer le propos, car les cas où l'on peut objectivement dire que telle œuvre est plus réussie que telle autre ne sont pas les seuls : il y a ceux où des artistes bénéficient d'une reconnaissance égale comme originaux et intéressants de la part de gens qui connaissent bien leur domaine, les cas où on peut constater qu'ils ont bien créé quelque chose d'intéressant. Dans ces cas-là, effectivement, la subjectivité des goûts reprend le dessus : est-il vraiment utile de chercher qui est le meilleur entre Iron Maiden et Metallica ? Entre Einstürzende Neubauten et Laibach ? Entre Depeche Mode et Kraftwerk ? C'est encore plus vrai si vous commencez à faire des comparaisons entre des artistes difficilement comparables : qui est assez fou pour se demander qui est le meilleur entre Mozart et les Beatles ? L'effet recherché par leurs œuvres est très différent... Chercher à hiérarchiser n'a donc plus grand sens dans ces cas-là. Cela ne veut pas dire que la discussion est inintéressante : elle permet de comprendre pourquoi l'autre aime ceci ou cela et pourquoi on a soi-même telle ou telle préférence. Pour le reste, ne vous prenez donc pas la tête !
Alors, que les goûts ne se discutent pas, c'est vrai dans certains cas, et de toute façon, il peut arriver qu'on aime une œuvre tout en étant conscient de sa mauvaise qualité, pourquoi pas ? Il y a par ailleurs toute une part de construction sociale dans le goût, analysée en d'autres temps par le grand Pierre Bourdieu. Mais qu'on ne vienne plus nous dire que tout se vaut et que toute discussion est interdite, car recourir à tout bout de champ à l’égout et les couleurs n'est ni plus ni moins que de la censure, probablement de la part de personnes qui se sentent mal à l'aise dans une conversation.