Image diffusée par le mouvement pour la VIème république de Jean-Luc Mélenchon, organisé autour de cette page facebook : https://www.facebook.com/M6Rep?fref=ts La signature en faveur de ce mouvement se fait ici : http://www.m6r.fr/2014/09/je-signe-pour-6e-republique/
On peut se demander quelle est cette nouvelle lubie. Comment, le chômage crève le plafond, l'activité économique va mal, l'endettement de l'État continue de s'accroître et tout ce que propose Jean-Luc Mélenchon, c'est de repenser nos institutions ? C'est d'ailleurs le son de cloche du Front National : bien que Jean-Marie le Pen ait un temps défendu l'idée d'une sixième République, Florian Philippot la décrivait récemment comme un changement accessoire. En gros, qu'on s'occupe de l'économie, on verra pour la constitution après.
Ce raisonnement qui sépare l'économie des modes de décisions politique tient d'une naïveté qui n'est pas sans rappeler le "trade-unionisme" dénoncé par Lénine dans "Que faire ?" au début du XXème siècle, consistant à se contenter de revendications sur les conditions de travail pour les jeunes mouvements socialistes sans se soucier de dénoncer le fonctionnement global de la société. Car la politique ne tombe pas du ciel : derrière chaque politique économique, il y a une décision, derrière chaque décision, il y a un décideur, et derrière chaque décideur, il y a un mode de décision. Savoir quels choix économiques doivent être faits ne sert à rien si l'on n'est jamais en position de faire appliquer ce choix.
Une analogie très facile à comprendre est celle que l'on pourrait faire avec la IVème République : aujourd'hui perçue très négativement, son image est restée celle d'un système incapable de s'adapter à la crise d'Algérie à cause de l'instabilité ministérielle ; imagine-t-on que de Gaulle a voulu régler le problème de l'Algérie d'abord et ne changer de constitution qu'ensuite ? Bien sûr que non : il savait que sans changement institutionnel, il n'y aurait pas de changement de politique. Le problème de la Vème République actuelle confrontée aux difficultés économiques est le même, mais pour une autre raison : c'est cette fois l'hyperstabilité des politiques qui pose problème, le Président de la République est, depuis la réforme quinquennale, élu pour cinq ans et il est très difficile de s'opposer à lui, il n'y a pas d'élections visant le pouvoir national en cours de mandat et la majorité parlementaire est très difficile à retourner contre lui. Par conséquent, la même politique continue de s'appliquer, quand bien même c'est une trahison des promesses électorales rejetée par la majorité écrasante des Français. Et cela s'applique à tout nouveau président : tant qu'il n'y aura aucun moyen de contrôle sur la politique menée par ce président, seule sa vertu personnelle garantira qu'il tienne ses promesses ! Il faut par ailleurs noter que la toute-puissance de l'exécutif a des conséquences sur les partis : l'enquête des politistes Rémi Lefebvre et Frédéric Sawicki dans La société des socialistes : le PS aujourd'hui a ainsi décrit un Parti Socialiste se mettant dans les années 80 à tourner autour de l'entourage des Ministres plutôt que des militants, le parti devient alors un moyen de faire carrière et où les convictions sont mal récompensées, machine à produire des gouvernants cyniques. Il est donc urgent, pour un gouvernement qui voudrait mener une politique de gauche, de changer les institutions pour changer la politique.
Il ne s'agit là que d'un vieux réflexe français : pour en donner un encore plus célèbre que mai 1958, en 1789, pour résoudre la crise économique et financière, la révolution a visé à ce que les décisions ne soient plus prises que par le roi et les parlements de nobles.
Il est par ailleurs important de noter que ce changement de constitution n'est pas une attaque contre on ne sait quelle constitution idéale imaginée par Charles de Gaulle. D'abord parce que Charles de Gaulle n'est pas l'inventeur de la Vème République, il ne sert donc à rien de l'invoquer pour justifier les errements actuels : la constitution a été rédigée par quatre personnes, lui-même (favorable à un Président fort), Michel Debré (plus enclin à renforcer le Premier Ministre), Guy Mollet et Pierre Pfimlin (soucieux de maintenir un parlement puissant), il s'agissait d'un compromis entre ces lignes. Ensuite parce que la Vème République n'est pas ce texte rédigé en 1958 : c'est une pratique des institutions bien différente, notamment parce que le Président est totalement sorti de son rôle d'arbitre inamovible excepté en période de cohabitation, ce qui ne justifie plus son irresponsabilité politique ; ensuite parce qu'a émergé ce que les politistes appellent le "fait majoritaire", autrement dit une majorité cohérente, due à des hommes politiques de plus en plus dépendants des moyens financiers de leurs partis pour faire campagne, ce qui n'existait pas sous la IVème République, d'où son instabilité ; enfin parce que cette mythique constitution a été retouchée encore et encore, notamment en 1962 lorsque son Président devient élu au suffrage universel et doit donc représenter à lui seul des dizaines de millions de Français, ainsi qu'en 2000 lorsque la réforme quinquennale a supprimé les élections législatives de mi-mandat, de sorte que plus rien ne permet de désavouer le Président et le gouvernement en cours de mandat, même s'ils ne font pas ce pour quoi vous les avez élus. La Vème République n'est donc pas un texte sacré sorti adulte et armé de l'esprit de quelque visionnaire mais le fruit d'une pratique politique qui est devenue de plus en plus déséquilibrée.
Beaucoup d'idées ont été émises sur la forme que peut prendre cette VIème République : faut-il renforcer le Premier Ministre, qui lui est responsable ? Donner plus de pouvoir au parlement ? Créer un référendum révocatoire, comme dans certains pays ? Recourir à des assemblées tirées au sort pour casser le risque de professionnalisation des politiques, idée controversée mais bien présente ? C'est un autre problème, mais une chose est sûre : la question des institutions est cruciale pour choisir une politique, il faut y réfléchir avec le plus grand sérieux alors que la politique actuelle est si contestée.