De gauche à droite au premier rang : Jean-Marie le Pen, Roger Holeindre et François Brigneau au congrès du Front National en 1972, image de l'AFP.
Avec sa percée dans les résultats électoraux, les interrogations, les peurs et les espoirs se multiplient à son sujet : peut-il arriver au pouvoir ? pourra-t-il gouverner ? est-ce un parti fasciste ? un parti qui peut lutter contre le néolibéralisme ? a-t-il changé ? faut-il le traiter comme un parti ordinaire, en parler le plus possible pour le dénoncer ou l'ignorer ? Il est donc probablement utile de rappeler, pour ceux qui l'ignorent, l'histoire du Front National, principal parti d'extrême-droite français, et ce qu'elle peut nous apprendre sur l'actualité et le devenir de ce parti ; une histoire dans laquelle rien n'est simple !
I/ Aux origines du Front National : la jeunesse fasciste des années 60
et des plus grands espoirs sur le communisme. On retient surtout de cette époque mai 68 : partie d'un mouvement étudiant aux revendications peu abouties, la contestation gagne les travailleurs qui déclenchent une grève massive pour améliorer leurs conditions de travail ; ce mouvement social de masse est largement exploité par ceux que le PCF appelle "les gauchistes", les petits groupes politiques qui se situent sur sa gauche, principalement le Parti Socialiste Unifié (PSU), les trotskystes et les luxemburgistes à ce moment-là, qui recrutent abondamment dans le milieu étudiant. C'est oublier que cette effervescence de l'extrême-gauche amène une radicalisation de milieux plus bourgeois et conservateurs qui redoutent une révolution et voient l'indépendance de l'Algérie comme une concession insupportable du gaullisme à ces gauchistes
On voit plusieurs groupuscules fascistes se fonder à cette époque, notamment Occident, qui s'organise d'abord autour de Pierre Sidos, l'ancien fondateur du groupuscule pétainiste Jeune Nation, qui deviendra plus tard l' ; c'est ainsi qu'une autre partie des étudiants, notamment dans les facultés de droit, s'ancre à droite du gaullisme et vont chercher des références aussi radicales que celles des gauchistes dans le fascisme. À l'instar de l'extrême-gauche, le Front National puise en fait ses racines en grande partie dans les mouvements politiques qui animent la jeunesse à la fin des années soixante ; on est alors dans une période où le progrès économique laisse croire à la possibilité de changements, loin du pessimisme actuel, et où la guerre froide est à l'origine des pires craintes Œuvre Française ; celui-ci finit cependant par prendre ses distances avec Occident qu'il juge trop modéré et l'organisation s'ouvre à des éléments moins radicaux, qui sont simplement inquiets de la montée du communisme. C'est ainsi qu'adhéreront des gens comme Alain Madelin ou Gérard Longuet, qui finiront par s'éloigner de l'extrême-droite et faire carrière dans la droite gaulliste ou la droite libérale, d'autant que l'organisation est dissolue en 1968, considérée comme une milice privée. Néanmoins, certains de ses anciens membres les plus radicaux choisissent à l'inverse de persévérer : en 1969, certains d'entre eux comme Alain Robert fondent une nouvelle association, Ordre Nouveau, dont l'orientation fasciste est cette fois clairement assumée. L'objectif est toujours le même : combattre par la violence les militants de gauche et d'extrême-gauche.
Si Ordre Nouveau s'étend jusqu'à 1500 adhérents, ce qui en fait le plus grand mouvement ouvertement fasciste qu'ait connu la France après la seconde guerre mondiale, il peut difficilement aller au-delà ; il n'est qu'une bande d'étudiants violents et trop extrêmes pour avoir un destin politique. C'est pourtant de ses rangs que va naître le Front National. L'un de ses membres, François Duprat, déjà passé par d'autres mouvements comme Occident, Jeune Nation ou l'Organisation de l'Armée Secrète (OAS), propose de fonder un véritable parti politique qui ne se limiterait plus aux jeunes fascistes mais regrouperait toutes les chapelles de l'extrême-droite, afin d'obtenir une façade plus présentable qu'Ordre Nouveau ; lui-même est sans ambiguïté fasciste et antisémite, c'est l'un des premiers propagateurs du négationnisme, et donc le véritable fondateur du Front National.
On voit plusieurs groupuscules fascistes se fonder à cette époque, notamment Occident, qui s'organise d'abord autour de Pierre Sidos, l'ancien fondateur du groupuscule pétainiste Jeune Nation, qui deviendra plus tard l' ; c'est ainsi qu'une autre partie des étudiants, notamment dans les facultés de droit, s'ancre à droite du gaullisme et vont chercher des références aussi radicales que celles des gauchistes dans le fascisme. À l'instar de l'extrême-gauche, le Front National puise en fait ses racines en grande partie dans les mouvements politiques qui animent la jeunesse à la fin des années soixante ; on est alors dans une période où le progrès économique laisse croire à la possibilité de changements, loin du pessimisme actuel, et où la guerre froide est à l'origine des pires craintes Œuvre Française ; celui-ci finit cependant par prendre ses distances avec Occident qu'il juge trop modéré et l'organisation s'ouvre à des éléments moins radicaux, qui sont simplement inquiets de la montée du communisme. C'est ainsi qu'adhéreront des gens comme Alain Madelin ou Gérard Longuet, qui finiront par s'éloigner de l'extrême-droite et faire carrière dans la droite gaulliste ou la droite libérale, d'autant que l'organisation est dissolue en 1968, considérée comme une milice privée. Néanmoins, certains de ses anciens membres les plus radicaux choisissent à l'inverse de persévérer : en 1969, certains d'entre eux comme Alain Robert fondent une nouvelle association, Ordre Nouveau, dont l'orientation fasciste est cette fois clairement assumée. L'objectif est toujours le même : combattre par la violence les militants de gauche et d'extrême-gauche.
Si Ordre Nouveau s'étend jusqu'à 1500 adhérents, ce qui en fait le plus grand mouvement ouvertement fasciste qu'ait connu la France après la seconde guerre mondiale, il peut difficilement aller au-delà ; il n'est qu'une bande d'étudiants violents et trop extrêmes pour avoir un destin politique. C'est pourtant de ses rangs que va naître le Front National. L'un de ses membres, François Duprat, déjà passé par d'autres mouvements comme Occident, Jeune Nation ou l'Organisation de l'Armée Secrète (OAS), propose de fonder un véritable parti politique qui ne se limiterait plus aux jeunes fascistes mais regrouperait toutes les chapelles de l'extrême-droite, afin d'obtenir une façade plus présentable qu'Ordre Nouveau ; lui-même est sans ambiguïté fasciste et antisémite, c'est l'un des premiers propagateurs du négationnisme, et donc le véritable fondateur du Front National.
II/ Période François Duprat : le "fascisme souriant"
François Duprat en 1972, image AFP.
Dès le début, le parti apparaît comme particulièrement conflictuel : certains membres d'Ordre Nouveau comme Alain Robert tiennent à garder le contrôle du FN contre Jean-Marie le Pen, et François Duprat lui-même est exclu, une rumeur l'accusant d'être allé parlementer avec le gouvernement pour une alliance aux élections législatives de 1973. Jean-Marie le Pen est finalement favorisé par la dissolution d'Ordre Nouveau en 1973 : un meeting de celui-ci donne lieu à une bagarre mémorable avec les gauchistes de la Jeunesse Communiste Révolutionnaire (JCR) d'Alain Krivine, qui fonderont plus tard la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR), devenue le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) en 2009, l'affrontement est si violent que soixante-sept policiers sont blessés ; goûtant peu la plaisanterie, le gouvernement dissout les deux organisations. Jean-Marie le Pen profite de l'occasion pour tenter d'écarter Alain Robert, qui se replie sur une autre organisation qu'il a fondé, le Groupe Union Défense (GUD) ; il finit par quitter le Front National pour fonder en 1974 un éphémère parti concurrent, le Parti des Forces Nouvelles -ironie du sort, il finira sa carrière à l'UMP !
François Duprat est quant à lui réintégré, après avoir flirté avec une internationale nazie, le Nouvel Ordre Européen ; officieusement, il devient le bras droit de Jean-Marie le Pen, qui est impressionné par son intelligence. Il appose sa marque à la stratégie de l'extrême-droite encore aujourd'hui : bien qu'étant raciste, il incite Jean-Marie le Pen à situer ses revendications sur un terrain plus social, inventant le slogan "Un million de chômeurs, c'est un million d'immigrés en trop" ; il développe également une rhétorique antisioniste qui n'est en réalité pas motivée par le souci du peuple palestinien mais par son antisémitisme ; s'inspirant des mouvements trotskystes, il prône l'infiltration des syndicats par l'extrême-droite ; il fonde enfin les Groupes Nationalistes-Révolutionnaires (GNR), devant servir d'avant-garde au FN pour préparer un soulèvement violent, il les compare aux SA du nazisme. Le FN des années 70 colle donc à sa formule du "fascisme souriant", c'est un parti marqué par le racisme et l'idéologie nazie mais qui tente de se dissimuler derrière des revendications plus accessibles comme l'antisionisme et la lutte contre le chômage.
La suite de l'histoire du Front National s'écrira sans celui qui en a posé les bases : François Duprat meurt dans un attentat en 1978, une bombe ayant explosé dans sa voiture ; cet assassinat ne sera jamais élucidé, on en a accusé le Parti des Forces Nouvelles d'Alain Robert, l'extrême-gauche, les services de renseignement israéliens, voire des rivalités au Front National...
Il est important de noter que si le personnage paraît aujourd'hui indissolublement lié au parti, le Front National s'est en réalité fondé sans Jean-Marie le Pen : suivant la proposition de François Duprat, les militants d'Ordre Nouveau organisent un premier congrès en 1971 auquel sont invitées de multiples personnalités proches de l'extrême-droite ; le nom complet proposé pour le parti est alors "Front national pour l'unité française". On trouve à ce congrès des gens très différents les uns des autres, pour la plupart d'entre eux particulièrement sulfureux : outre les membres d'Ordre Nouveau comme Alain Robert ou François Duprat, on y rencontre d'anciens membres de l'OAS qui versa dans le terrorisme, de nombreux collaborateurs de l'occupation tels que l'ancien milicien François Brigneau ou l'ancien Waffen-SS Léon Gaultier ; il est à noter aussi qu'est présent un ancien résistant, Georges Bidault, mais celui-ci quittera presque immédiatement le FN. C'est alors que le processus de création du FN est déjà en marche que ses fondateurs recherchent une personnalité suffisamment rassembleuse pour les diriger et dont le passé soit moins clivant ; leur choix se porte sur l'homme d'affaires Jean-Marie le Pen, ancien député poujadiste qui croyait sa carrière politique terminée ! Le connaissant personnellement, François Brigneau est désigné pour le convaincre d'accepter de prendre la tête du parti ; Jean-Marie le Pen accepte, mais prévient qu'il devra avoir un véritable contrôle sur le FN, ne voulant pas être la marionnette d'Ordre Nouveau. Il est effectivement élu à la présidence du parti avec deux co-présidents lors d'un congrès en 1972, à savoir François Brigneau et Guy Ribeaud. Le parti est officiellement créé cette année-là.
III/ Période Jean-Pierre Stirbois : l'émergence du FN
Le FN reste à ce moment-là un parti marginal ; il n'émerge vraiment que dans les années 80, alors que Jean-Marie le Pen est secondé par un autre homme, Jean-Pierre Stirbois, qui dirigeait un petit parti appelé l'Union Solidariste avant de rejoindre le FN. Celui-ci et ses fidèles sont en mauvais termes avec les anciens proches de François Duprat, plus radicaux ; une fois sa position dans le parti bien affirmée, il entreprend de les exclure pour épurer le parti des "nazillons", on assiste donc une fois de plus à une lutte au FN entre les tendances les plus radicales et les plus modérés. Jean-Pierre Stirbois reprend néanmoins de François Duprat ses slogans anti-immigration.
Jean-Marie le Pen ne parvient pas à se présenter à l'élection présidentielle de 1981, n'ayant pas obtenu suffisamment de signatures ; c'est toutefois sous le mandat de François Mitterrand qui s'ouvre que le Front National va pour la première fois se faire connaître du grand public. En effet, les élections municipales de 1983, débâcle pour le gouvernement socialiste, voient une liste du Front National conduite par Jean-Pierre Stirbois lui-même obtenir 17% des voix à Dreux au premier tour ; à l'indignation de la gauche, la droite gaulliste accepte alors de s'allier avec le FN au second tour pour arracher la victoire ! L'évènement fait grand bruit, et c'est à cette occasion que le FN sort de l'ombre. Étant désormais un acteur connu, le Front National parvient à se faire entendre dans les médias, avec la bienveillance de François Mitterrand qui souhaitait probablement fragiliser la droite à cette occasion ; c'est alors que la figure de Jean-Marie le Pen devient familière aux téléspectateurs, il endosse un rôle de tribun et de provocateur qui assure de bonnes audiences à l'extrême-droite. Dans une France de plus en plus déçue par le reniement des promesses socialistes et inquiète de la progression de la mondialisation, s'interrogeant sur la présence de plus en plus visible d'immigrés d'origine africaine, le discours du Front National commence à cette époque à trouver un écho. Il est favorisé, probablement intentionnellement, par l'établissement du scrutin proportionnel aux élections législatives de 1986, qui lui permet d'obtenir pas moins de trente députés à l'Assemblée Nationale, dont Jean-Marie le Pen lui-même, Roger Holeindre, l'avocat niçois Jacques Peyrat, Jacques Bompard, l'Alsacien Robert Spieler...
Jean-Marie le Pen parvient enfin à se présenter à l'élection présidentielle de 1988, pour laquelle il est crédité par les sondages de pas moins de 17% des voix, suscitant l'affolement des mouvements antiracistes ; il porte alors l'idée d'une VIème République, autoritaire, celle-ci. Cependant, il finit par saborder sa propre campagne en qualifiant à une émission le génocide juif perpétré par les nazis de "point de détail de l'histoire"... La formule choque énormément, fait prendre conscience aux électeurs que le Front National n'est pas un simple parti anti-immigration mais bien l'héritier de mouvements fascistes, malgré l'épuration menée par Jean-Pierre Stirbois. Ce premier "dérapage" sera le premier d'une longue série par lesquels Jean-Marie le Pen cherche sans cesse, encore de nos jours, à se poser en victime de persécutions médiatiques. Le score de Jean-Marie le Pen se fixera finalement à 14%, mais surtout, c'est à ce moment-là que l'image du Front National se dégrade considérablement, au point que la droite gaulliste pose comme règle stricte l'interdiction des alliances avec le FN comme il s'en est produit à Dreux.
Si le déclin économique et social des années 80 favorise l'extrême-droite, cela ne se limite cependant pas aux contours du Front National, loin s'en faut : cette décennie voit également le basculement à l'extrême-droite d'une grande partie de la contre-culture des skinheads, leur style et la violence envers les non-blancs et les militants de gauche se diffusent parmi certains jeunes, se forment ainsi des groupuscules dangereux qui n'ont rien à envier à ce qu'étaient autrefois Occident et Ordre Nouveau, on peut ainsi citer Troisième Voie et les Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires auxquels prend part Serge Ayoub avant d'en devenir le chef ou le Parti Nationaliste Français et Européen (PNFE), d'autres de ces skinheads rejoignent massivement une organisation existante, le GUD d'Alain Robert, les trois entités ont été interdites ; les relations du Front National avec eux sont complexes, les skinheads d'extrême-droite ("boneheads") y sont vus comme des excités incontrôlables qu'il faut tenir à distance, les boneheads eux-mêmes craignant d'être instrumentalisés par le parti, mais le FN a néanmoins compté de nombreux boneheads dans ses rangs, lui donnant une image violente.
Jean-Marie le Pen ne parvient pas à se présenter à l'élection présidentielle de 1981, n'ayant pas obtenu suffisamment de signatures ; c'est toutefois sous le mandat de François Mitterrand qui s'ouvre que le Front National va pour la première fois se faire connaître du grand public. En effet, les élections municipales de 1983, débâcle pour le gouvernement socialiste, voient une liste du Front National conduite par Jean-Pierre Stirbois lui-même obtenir 17% des voix à Dreux au premier tour ; à l'indignation de la gauche, la droite gaulliste accepte alors de s'allier avec le FN au second tour pour arracher la victoire ! L'évènement fait grand bruit, et c'est à cette occasion que le FN sort de l'ombre. Étant désormais un acteur connu, le Front National parvient à se faire entendre dans les médias, avec la bienveillance de François Mitterrand qui souhaitait probablement fragiliser la droite à cette occasion ; c'est alors que la figure de Jean-Marie le Pen devient familière aux téléspectateurs, il endosse un rôle de tribun et de provocateur qui assure de bonnes audiences à l'extrême-droite. Dans une France de plus en plus déçue par le reniement des promesses socialistes et inquiète de la progression de la mondialisation, s'interrogeant sur la présence de plus en plus visible d'immigrés d'origine africaine, le discours du Front National commence à cette époque à trouver un écho. Il est favorisé, probablement intentionnellement, par l'établissement du scrutin proportionnel aux élections législatives de 1986, qui lui permet d'obtenir pas moins de trente députés à l'Assemblée Nationale, dont Jean-Marie le Pen lui-même, Roger Holeindre, l'avocat niçois Jacques Peyrat, Jacques Bompard, l'Alsacien Robert Spieler...
Jean-Marie le Pen parvient enfin à se présenter à l'élection présidentielle de 1988, pour laquelle il est crédité par les sondages de pas moins de 17% des voix, suscitant l'affolement des mouvements antiracistes ; il porte alors l'idée d'une VIème République, autoritaire, celle-ci. Cependant, il finit par saborder sa propre campagne en qualifiant à une émission le génocide juif perpétré par les nazis de "point de détail de l'histoire"... La formule choque énormément, fait prendre conscience aux électeurs que le Front National n'est pas un simple parti anti-immigration mais bien l'héritier de mouvements fascistes, malgré l'épuration menée par Jean-Pierre Stirbois. Ce premier "dérapage" sera le premier d'une longue série par lesquels Jean-Marie le Pen cherche sans cesse, encore de nos jours, à se poser en victime de persécutions médiatiques. Le score de Jean-Marie le Pen se fixera finalement à 14%, mais surtout, c'est à ce moment-là que l'image du Front National se dégrade considérablement, au point que la droite gaulliste pose comme règle stricte l'interdiction des alliances avec le FN comme il s'en est produit à Dreux.
Si le déclin économique et social des années 80 favorise l'extrême-droite, cela ne se limite cependant pas aux contours du Front National, loin s'en faut : cette décennie voit également le basculement à l'extrême-droite d'une grande partie de la contre-culture des skinheads, leur style et la violence envers les non-blancs et les militants de gauche se diffusent parmi certains jeunes, se forment ainsi des groupuscules dangereux qui n'ont rien à envier à ce qu'étaient autrefois Occident et Ordre Nouveau, on peut ainsi citer Troisième Voie et les Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires auxquels prend part Serge Ayoub avant d'en devenir le chef ou le Parti Nationaliste Français et Européen (PNFE), d'autres de ces skinheads rejoignent massivement une organisation existante, le GUD d'Alain Robert, les trois entités ont été interdites ; les relations du Front National avec eux sont complexes, les skinheads d'extrême-droite ("boneheads") y sont vus comme des excités incontrôlables qu'il faut tenir à distance, les boneheads eux-mêmes craignant d'être instrumentalisés par le parti, mais le FN a néanmoins compté de nombreux boneheads dans ses rangs, lui donnant une image violente.
IV/ La fronde mégretiste
Bruno Mégret, photographie disponible à cette adresse : http://droites-extremes.blog.lemonde.fr/files/2009/12/megret_bruno.1260529044.jpg
Dix ans après la mort de François Duprat, c'est au tour de Jean-Pierre Stirbois de décéder, cette fois dans un accident de voiture en 1988 ; les principaux lieutenants de Jean-Marie le Pen sont dans les années 90 Bruno Gollnisch, ancien doyen de l'université Lyon-3, et un autre Bruno au parcours plus étonnant, Bruno Mégret, fils d'énarque et lui-même polytechnicien, haut fonctionnaire, proche de la "Nouvelle Droite" d'Alain de Benoist. Alors que le Front National s'est longtemps affirmé comme défendant les travailleurs contre l'immigration, le parti prend une tournure économiquement de plus en plus néolibérale en particulier sous Mégret.
Une nouvelle lutte de pouvoir mêlée d'une controverse stratégique s'entame au FN : Bruno Mégret s'oppose aux "dérapages" de Jean-Marie le Pen qu'il considère comme de vulgaires provocations contre-productives, au point que l'on parle parfois d'une première "dédiabolisation" du FN à cette époque ; il fournit au parti un nouvel axe, le rejet des musulmans ; enfin, il tourne le dos aux idées révolutionnaires qui animaient François Duprat et même dans une certaine mesure Jean-Pierre Stirbois, le FN doit selon lui s'implanter par les élections pour prendre le pouvoir. Autant d'idées qui, on le voit, seront largement reprises sous Marine le Pen ! Il ne faut cependant pas s'y tromper : la période Bruno Mégret n'est en aucun cas une "dénazification" du FN, c'est même exactement le contraire, car si le profil de Bruno Mégret pourrait faire croire qu'il est plus proche de la droite classique et s'il est soucieux de lisser l'image de son parti, les idées de lui et ses proches sont en fait parmi les plus extrêmes au Front National, au point que Roger Holeindre et le conseiller en communication de Jean-Marie le Pen Lorrain de Saint-Afrique mettent en garde contre le risque de voir le FN devenir entièrement noyauté par des nazis... Les idées reprises par Bruno Mégret et ses fidèles de la Nouvelle Droite sont celles d'un complot mondial contre les nations et le principe de l'inégalité des races. Les tensions deviennent vives au FN, au point que Lorrain de Saint-Afrique est exclu pour avoir dénoncé l'emprise de Mégret.
Toutefois, la stratégie de Mégret paie dans une certaine mesure : en 1995, le Front National obtient pour la première fois des mairies comme celle de Vitrolles. Leur gestion calamiteuse sera dénoncée par la suite, mais pour Mégret, c'est le triomphe de sa stratégie d'implantation du FN par des élus locaux, lui et d'autres cadres du Front National espèrent alors arriver au pouvoir. Cependant, ces victoires sont loin de ravir Jean-Marie le Pen lui-même qui se montre très froid à cet égard, au point que lorsque Pierre Vial, proche de Mégret, évoque devant lui la possibilité d'un FN dirigeant la France, Jean-Marie le Pen lui répond sombrement "Dieu nous en garde..." ; l'attitude de Jean-Marie le Pen fait penser aux cadres mégretistes qu'il ne veut pas réellement la victoire de son parti, simplement rester un provocateur à la tête de sa petite entreprise politique, ce qui fait naître des frustrations alors qu'ils peuvent espérer se faire élire. Mégret considère alors que le FN devrait se passer de Jean-Marie le Pen pour réussir en s'implantant localement par des alliances avec la droite... Les tensions montent à l'intérieur du parti au point que les mégretistes vont jusqu'à huer Jean-Marie le Pen ; furieux, celui-ci décide en 1998 d'exclure Bruno Mégret et une grande partie des cadres du Front National, qu'il accuse de comploter contre lui. Ils créent alors le Mouvement National Républicain (MNR), destiné à concurrence le FN sur une ligne plus néolibérale.
Peine perdue : à l'élection présidentielle de 2002, la dissidence du MNR s'avère un pétard mouillé, Bruno Mégret n'atteignant même pas 3%, un score certes handicapant pour le FN mais totalement insuffisant pour le remplacer ; à l'opposé, Jean-Marie le Pen profite d'une gauche extrêmement divisée suite à une politique plus libérale que prévue de Lionel Jospin, le candidat PS tombe à 15% alors que Jean-Marie le Pen, malgré la scission mégretiste, frôle 17%... Trente ans après sa création, le Front National arrive donc au second tour contre Jacques Chirac (RPR). La stupeur est générale, y compris au Front National ! Mais là encore, il s'agit d'un feu de paille, qui n'a été rendu possible que par le morcellement de la gauche : suite à des manifestations d'envergure, l'électorat de gauche fait bloc derrière Jacques Chirac, qui est élu avec pas moins de 85% des voix et créé l'Union pour un Mouvement Populaire (UMP) avec une partie du centre-droit dans la foulée.
Une nouvelle lutte de pouvoir mêlée d'une controverse stratégique s'entame au FN : Bruno Mégret s'oppose aux "dérapages" de Jean-Marie le Pen qu'il considère comme de vulgaires provocations contre-productives, au point que l'on parle parfois d'une première "dédiabolisation" du FN à cette époque ; il fournit au parti un nouvel axe, le rejet des musulmans ; enfin, il tourne le dos aux idées révolutionnaires qui animaient François Duprat et même dans une certaine mesure Jean-Pierre Stirbois, le FN doit selon lui s'implanter par les élections pour prendre le pouvoir. Autant d'idées qui, on le voit, seront largement reprises sous Marine le Pen ! Il ne faut cependant pas s'y tromper : la période Bruno Mégret n'est en aucun cas une "dénazification" du FN, c'est même exactement le contraire, car si le profil de Bruno Mégret pourrait faire croire qu'il est plus proche de la droite classique et s'il est soucieux de lisser l'image de son parti, les idées de lui et ses proches sont en fait parmi les plus extrêmes au Front National, au point que Roger Holeindre et le conseiller en communication de Jean-Marie le Pen Lorrain de Saint-Afrique mettent en garde contre le risque de voir le FN devenir entièrement noyauté par des nazis... Les idées reprises par Bruno Mégret et ses fidèles de la Nouvelle Droite sont celles d'un complot mondial contre les nations et le principe de l'inégalité des races. Les tensions deviennent vives au FN, au point que Lorrain de Saint-Afrique est exclu pour avoir dénoncé l'emprise de Mégret.
Toutefois, la stratégie de Mégret paie dans une certaine mesure : en 1995, le Front National obtient pour la première fois des mairies comme celle de Vitrolles. Leur gestion calamiteuse sera dénoncée par la suite, mais pour Mégret, c'est le triomphe de sa stratégie d'implantation du FN par des élus locaux, lui et d'autres cadres du Front National espèrent alors arriver au pouvoir. Cependant, ces victoires sont loin de ravir Jean-Marie le Pen lui-même qui se montre très froid à cet égard, au point que lorsque Pierre Vial, proche de Mégret, évoque devant lui la possibilité d'un FN dirigeant la France, Jean-Marie le Pen lui répond sombrement "Dieu nous en garde..." ; l'attitude de Jean-Marie le Pen fait penser aux cadres mégretistes qu'il ne veut pas réellement la victoire de son parti, simplement rester un provocateur à la tête de sa petite entreprise politique, ce qui fait naître des frustrations alors qu'ils peuvent espérer se faire élire. Mégret considère alors que le FN devrait se passer de Jean-Marie le Pen pour réussir en s'implantant localement par des alliances avec la droite... Les tensions montent à l'intérieur du parti au point que les mégretistes vont jusqu'à huer Jean-Marie le Pen ; furieux, celui-ci décide en 1998 d'exclure Bruno Mégret et une grande partie des cadres du Front National, qu'il accuse de comploter contre lui. Ils créent alors le Mouvement National Républicain (MNR), destiné à concurrence le FN sur une ligne plus néolibérale.
Peine perdue : à l'élection présidentielle de 2002, la dissidence du MNR s'avère un pétard mouillé, Bruno Mégret n'atteignant même pas 3%, un score certes handicapant pour le FN mais totalement insuffisant pour le remplacer ; à l'opposé, Jean-Marie le Pen profite d'une gauche extrêmement divisée suite à une politique plus libérale que prévue de Lionel Jospin, le candidat PS tombe à 15% alors que Jean-Marie le Pen, malgré la scission mégretiste, frôle 17%... Trente ans après sa création, le Front National arrive donc au second tour contre Jacques Chirac (RPR). La stupeur est générale, y compris au Front National ! Mais là encore, il s'agit d'un feu de paille, qui n'a été rendu possible que par le morcellement de la gauche : suite à des manifestations d'envergure, l'électorat de gauche fait bloc derrière Jacques Chirac, qui est élu avec pas moins de 85% des voix et créé l'Union pour un Mouvement Populaire (UMP) avec une partie du centre-droit dans la foulée.
V/ Les années 2000 : un FN à bout de souffle ?
Après cette forte mobilisation contre lui, le Front National recule sensiblement, au point de n'obtenir aucun député aux élections législatives de 2002. Dans les années suivantes, Jean-Marie le Pen est de plus en plus affaibli par l'âge, donnant l'impression d'être un vieil homme déconnecté des réalités plutôt qu'un chef d'État potentiel, il reste néanmoins le leader du FN. Face à lui émerge un jeune et ambitieux Ministre de l'Intérieur UMP, Nicolas Sarkozy, qui reprend malgré les critiques certains thèmes de l'extrême-droite, il s'affirme en faveur d'une politique particulièrement répressive et tient des propos qui sont parfois jugés racistes ou xénophobes ; cette radicalisation lui permet d'apparaître comme un recours possible pour des électeurs d'extrême-droite alors que le Front National donne l'impression d'être dépassé.
Désireux de se démarquer de Nicolas Sarkozy, Jean-Marie le Pen change d'angle d'attaque : il se rapproche de... Dieudonné M'bala M'bala, humoriste accusé d'antisémitisme suite à un sketch où il parodiait un extrémiste israélien et dont les propos versent en réaction de plus en plus dans le complotisme et l'antisémitisme, il fait également à cette occasion la connaissance d'Alain Soral, essayiste misogyne, complotiste et homophobe ainsi que de son ami Marc Georges, les trois hommes s'engagent au FN dans les années 2000. La stratégie qui se dessine alors pour le Front National est un véritable virage à 180° par rapport aux décennies précédentes, notamment celle de Bruno Mégret : il s'agit d'essayer de se faire des alliés dans les banlieues à forte population immigrée en jouant du ressentiment à l'égard des élites, notamment juives, Jean-Marie le Pen lui-même se rend dans l'une de ces banlieues pour tenter de changer l'image du Front National. La stratégie était périlleuse après des décennies de discours xénophobes et islamophobes, et elle ne sauve effectivement pas le Front National de la déroute : à la présidentielle de 2007, Jean-Marie le Pen échoue lamentablement à 13%, c'est la première fois que le score du Front National baisse ; dans la foulée, le parti doit vendre son quartier général faute d'argent. On pouvait alors se demander si le FN n'allait pas disparaître au profit de l'UMP sarkozyste.
Le Front National doit de plus faire face à de nouveaux conflits internes, car deux lignes apparaissent de plus en plus opposées : celle de Marine le Pen, fille du président du FN, et de son compagnon Louis Alliot qui intègre la direction du parti en 2005, qui est d'exploiter principalement la peur à l'encontre de la délinquance et de l'islam ; a contrario, Alain Soral et Dieudonné, entre autres, se montrent de plus en plus antisémites et considèrent que le Front National doit s'ouvrir aux non-blancs et aux musulmans. Finalement, taxant Louis Alliot de complaisance envers le sionisme, ces deux derniers claquent la porte du parti en 2009 ; Alain Soral se rabat sur son association Égalité & Réconciliation, qui se fera plus tard connaître sur internet. Louis Alliot et Marine le Pen sortent ainsi renforcés de la controverse.
Désireux de se démarquer de Nicolas Sarkozy, Jean-Marie le Pen change d'angle d'attaque : il se rapproche de... Dieudonné M'bala M'bala, humoriste accusé d'antisémitisme suite à un sketch où il parodiait un extrémiste israélien et dont les propos versent en réaction de plus en plus dans le complotisme et l'antisémitisme, il fait également à cette occasion la connaissance d'Alain Soral, essayiste misogyne, complotiste et homophobe ainsi que de son ami Marc Georges, les trois hommes s'engagent au FN dans les années 2000. La stratégie qui se dessine alors pour le Front National est un véritable virage à 180° par rapport aux décennies précédentes, notamment celle de Bruno Mégret : il s'agit d'essayer de se faire des alliés dans les banlieues à forte population immigrée en jouant du ressentiment à l'égard des élites, notamment juives, Jean-Marie le Pen lui-même se rend dans l'une de ces banlieues pour tenter de changer l'image du Front National. La stratégie était périlleuse après des décennies de discours xénophobes et islamophobes, et elle ne sauve effectivement pas le Front National de la déroute : à la présidentielle de 2007, Jean-Marie le Pen échoue lamentablement à 13%, c'est la première fois que le score du Front National baisse ; dans la foulée, le parti doit vendre son quartier général faute d'argent. On pouvait alors se demander si le FN n'allait pas disparaître au profit de l'UMP sarkozyste.
Le Front National doit de plus faire face à de nouveaux conflits internes, car deux lignes apparaissent de plus en plus opposées : celle de Marine le Pen, fille du président du FN, et de son compagnon Louis Alliot qui intègre la direction du parti en 2005, qui est d'exploiter principalement la peur à l'encontre de la délinquance et de l'islam ; a contrario, Alain Soral et Dieudonné, entre autres, se montrent de plus en plus antisémites et considèrent que le Front National doit s'ouvrir aux non-blancs et aux musulmans. Finalement, taxant Louis Alliot de complaisance envers le sionisme, ces deux derniers claquent la porte du parti en 2009 ; Alain Soral se rabat sur son association Égalité & Réconciliation, qui se fera plus tard connaître sur internet. Louis Alliot et Marine le Pen sortent ainsi renforcés de la controverse.
VI/ Période Marine le Pen : un parti fourre-tout ?
Marion Maréchal-le Pen, petite-fille de Jean-Marie le Pen et députée FN, en compagnie d'un responsable du GUD. Photo disponible à cette adresse : http://luttonscontrelefn.wordpress.com/2014/10/09/les-amis-infrequentables-de-marion-marechal-le-pen/
C'est en 2010 que Jean-Marie le Pen choisit de rendre les armes, après trente-huit ans à la tête du Front National ; un congrès est organisé pour remplacer l'équipe dirigeante, auquel il soutient sa fille Marine. Cependant, celle-ci dérange par sa volonté d'abandonner toute référence à l'antisémitisme ou au négationnisme pour se concentrer sur la haine de l'islam et de l'immigration, ainsi que par sa volonté de "dédiaboliser" le Front National, de renoncer à ses provocations, une stratégie finalement proche de celle défendue autrefois par Bruno Mégret ; elle doit donc affronter une candidature rivale, celle de Bruno Gollnisch qui est toujours l'un des principaux cadres du Front National. Elle est cependant élue sans difficulté à la tête du parti.
Il existe une différence importante entre Marine le Pen et Bruno Mégret : alors que la dédiabolisation de celui-ci s'arrêtait à ses discours et qu'il était au contraire l'un des membres les plus radicaux du parti, Marine le Pen entreprend réellement d'exclure les membres les plus extrêmes, craignant qu'ils ne causent préjudice à l'image du parti. On l'a vu, le Front National est coutumier de la lutte entre ses militants les plus ouvertement fascistes et ceux qui sont soit plus modérés soit soucieux d'une stratégie plus réaliste pour remporter les élections, c'est une constante depuis sa fondation ; la politique de Marine le Pen n'est donc pas neuve, mais la brutalité des tensions survenues à cette occasion est probablement inédite dans l'histoire du FN. En effet, Marine le Pen exclut massivement les membres du parti qui sont également membres de l'Œuvre Française, le groupuscule pétainiste fondé par Pierre Sidos après l'interdiction de Jeune Nation (voir le I), notamment son président Yvan Benedetti ainsi que Alexandre Gabriac, jeune candidat FN photographié faisant un salut nazi en compagnie d'un bonehead, ce dernier fondera ensuite les Jeunesses Nationalistes, organisation de jeunesse de l'Œuvre Française, les deux seront interdits suite à l'affaire Clément Méric. D'autres exclusions frappent par exemple des membres du GUD qui s'étaient faits photographier avec Marion Maréchal-le Pen, une autre photographie d'eux les représentant faisant un salut nazi. Ces exclusions valent au FN l'inimité de toute la frange la plus radicale de l'extrême-droite, les personnes concernées ou des partis comme le Bloc Identitaire l'accusent d'avoir trahi leur cause ; elles sont également source d'importantes tensions à l'intérieur du parti, car Bruno Gollnish et Jean-Marie le Pen s'opposent à l'exclusion d'Alexandre Gabriac, le climat de la direction du Front National devient explosif. Toutefois, si la "dédiabolisation" se traduit cette fois en actes, il ne faut pas en exagérer le sens : Marine le Pen continue à fréquenter des gens ouvertement fascistes, elle sera notamment attaquée pour en avoir rencontré plusieurs lors d'un bal en Autriche avant la présidentielle 2012, elle continue également à employer des expressions chargées de racisme comme "nation charnelle", et le simple fait de parler de "dédiabolisation" implique un changement de l'image du parti, partant du principe qu'il a été diabolisé par les médias, ce n'est en aucun cas une prise de distance par rapport à ses racines fascistes ; ce qui se joue est donc avant tout une question de stratégie, elle favorise certaines tendances de l'extrême-droite par rapport à d'autres tout en maintenant des relations avec toutes, ce qui était aussi le cas de son père. L'idée est d'intégrer des gens qui n'auraient pas adhéré au FN dans les années précédentes, de ne plus faire fuir tous ceux qui pouvaient être effrayés par les dérapages de Jean-Marie le Pen ; elle renoue avec l'objectif d'arriver au pouvoir.
Un changement plus conséquent concerne l'attitude du Front National par rapport à Israël et aux Juifs : à l'opposé de l'antisémitisme de François Duprat, Marine le Pen prend une position extrêmement pro-israélienne, ce en quoi elle est tout à fait suivie par Louis Alliot, Florian Philippot ou Aymeric Chauprade ; cela lui vaut un regain de tension avec Alain Soral et Dieudonné, qui choisissent en 2014 de créer un parti concurrent à partir d'Égalité & Réconciliation, Réconciliation Nationale.
Un autre changement vise les thèmes et les références portés par le FN : les discours de celui-ci ont toujours été flous en-dehors de la xénophobie, passant par exemple de la défense des travailleurs à une ligne nationale-libérale sous Mégret, mais ils atteignent le grand écart sous Marine le Pen ; on voit ainsi Louis Alliot ou Florian Philippot se revendiquer du gaullisme, Marine le Pen prétendre se reconnaître dans certaines formes d'extrême-gauche et reprendre des idées du Front de Gauche comme le développement de l'économie maritime, la défense des travailleurs contre les "élites autoproclamées" s'accompagne de politiques de destruction de l'aide sociale là où le FN est de nouveau élu en 2014... Il y en a pour tous les goûts !
Ces changements associés à un contexte de crise, les reniements de François Hollande étant encore plus flagrants que ceux de François Mitterrand et Lionel Jospin, conduisent à une avancée sans précédent du Front National, qui surfe sur l'abstention des électeurs des autres partis : le succès de Marine le Pen reste très relatif à l'élection présidentielle de 2012, où elle réalise un score de 17% qui est peu étonnant compte tenu de l'impopularité de Nicolas Sarkozy et de l'absence de candidature d'extrême-droite concurrente, le FN obtient des mairies aux élections municipales de 2014 mais le succès est là encore à relativiser sachant que le Front de Gauche en possède en réalité bien plus ce qui montre la difficulté de l'implantation locale du FN, mais ce sont finalement les élections européennes de la même année qui voient le parti d'extrême-droite arriver en tête pour la première fois avec 26% des voix, ce qui pour la première fois de son histoire rend son arrivée au pouvoir envisageable. Mais la percée du FN obtenue dans des circonstances si particulières et au prix de changements si brutaux est-elle viable à longe terme ?
Il existe une différence importante entre Marine le Pen et Bruno Mégret : alors que la dédiabolisation de celui-ci s'arrêtait à ses discours et qu'il était au contraire l'un des membres les plus radicaux du parti, Marine le Pen entreprend réellement d'exclure les membres les plus extrêmes, craignant qu'ils ne causent préjudice à l'image du parti. On l'a vu, le Front National est coutumier de la lutte entre ses militants les plus ouvertement fascistes et ceux qui sont soit plus modérés soit soucieux d'une stratégie plus réaliste pour remporter les élections, c'est une constante depuis sa fondation ; la politique de Marine le Pen n'est donc pas neuve, mais la brutalité des tensions survenues à cette occasion est probablement inédite dans l'histoire du FN. En effet, Marine le Pen exclut massivement les membres du parti qui sont également membres de l'Œuvre Française, le groupuscule pétainiste fondé par Pierre Sidos après l'interdiction de Jeune Nation (voir le I), notamment son président Yvan Benedetti ainsi que Alexandre Gabriac, jeune candidat FN photographié faisant un salut nazi en compagnie d'un bonehead, ce dernier fondera ensuite les Jeunesses Nationalistes, organisation de jeunesse de l'Œuvre Française, les deux seront interdits suite à l'affaire Clément Méric. D'autres exclusions frappent par exemple des membres du GUD qui s'étaient faits photographier avec Marion Maréchal-le Pen, une autre photographie d'eux les représentant faisant un salut nazi. Ces exclusions valent au FN l'inimité de toute la frange la plus radicale de l'extrême-droite, les personnes concernées ou des partis comme le Bloc Identitaire l'accusent d'avoir trahi leur cause ; elles sont également source d'importantes tensions à l'intérieur du parti, car Bruno Gollnish et Jean-Marie le Pen s'opposent à l'exclusion d'Alexandre Gabriac, le climat de la direction du Front National devient explosif. Toutefois, si la "dédiabolisation" se traduit cette fois en actes, il ne faut pas en exagérer le sens : Marine le Pen continue à fréquenter des gens ouvertement fascistes, elle sera notamment attaquée pour en avoir rencontré plusieurs lors d'un bal en Autriche avant la présidentielle 2012, elle continue également à employer des expressions chargées de racisme comme "nation charnelle", et le simple fait de parler de "dédiabolisation" implique un changement de l'image du parti, partant du principe qu'il a été diabolisé par les médias, ce n'est en aucun cas une prise de distance par rapport à ses racines fascistes ; ce qui se joue est donc avant tout une question de stratégie, elle favorise certaines tendances de l'extrême-droite par rapport à d'autres tout en maintenant des relations avec toutes, ce qui était aussi le cas de son père. L'idée est d'intégrer des gens qui n'auraient pas adhéré au FN dans les années précédentes, de ne plus faire fuir tous ceux qui pouvaient être effrayés par les dérapages de Jean-Marie le Pen ; elle renoue avec l'objectif d'arriver au pouvoir.
Un changement plus conséquent concerne l'attitude du Front National par rapport à Israël et aux Juifs : à l'opposé de l'antisémitisme de François Duprat, Marine le Pen prend une position extrêmement pro-israélienne, ce en quoi elle est tout à fait suivie par Louis Alliot, Florian Philippot ou Aymeric Chauprade ; cela lui vaut un regain de tension avec Alain Soral et Dieudonné, qui choisissent en 2014 de créer un parti concurrent à partir d'Égalité & Réconciliation, Réconciliation Nationale.
Un autre changement vise les thèmes et les références portés par le FN : les discours de celui-ci ont toujours été flous en-dehors de la xénophobie, passant par exemple de la défense des travailleurs à une ligne nationale-libérale sous Mégret, mais ils atteignent le grand écart sous Marine le Pen ; on voit ainsi Louis Alliot ou Florian Philippot se revendiquer du gaullisme, Marine le Pen prétendre se reconnaître dans certaines formes d'extrême-gauche et reprendre des idées du Front de Gauche comme le développement de l'économie maritime, la défense des travailleurs contre les "élites autoproclamées" s'accompagne de politiques de destruction de l'aide sociale là où le FN est de nouveau élu en 2014... Il y en a pour tous les goûts !
Ces changements associés à un contexte de crise, les reniements de François Hollande étant encore plus flagrants que ceux de François Mitterrand et Lionel Jospin, conduisent à une avancée sans précédent du Front National, qui surfe sur l'abstention des électeurs des autres partis : le succès de Marine le Pen reste très relatif à l'élection présidentielle de 2012, où elle réalise un score de 17% qui est peu étonnant compte tenu de l'impopularité de Nicolas Sarkozy et de l'absence de candidature d'extrême-droite concurrente, le FN obtient des mairies aux élections municipales de 2014 mais le succès est là encore à relativiser sachant que le Front de Gauche en possède en réalité bien plus ce qui montre la difficulté de l'implantation locale du FN, mais ce sont finalement les élections européennes de la même année qui voient le parti d'extrême-droite arriver en tête pour la première fois avec 26% des voix, ce qui pour la première fois de son histoire rend son arrivée au pouvoir envisageable. Mais la percée du FN obtenue dans des circonstances si particulières et au prix de changements si brutaux est-elle viable à longe terme ?
Conclusion
On se rend compte que les relations du Front National avec le fascisme sont complexes, dans un mouvement de balancier permanent entre association et rejet : le FN a été fondé par des fascistes et des collaborateurs mais aussi par d'autres personnalités d'extrême-droite, et au cours des années 70, c'est la ligne de François Duprat du "fascisme souriant" qui l'a emporté, le FN étant alors une organisation fasciste mais s'efforçant de se dissimuler ; néanmoins, les choses changent sous Jean-Pierre Stirbois, qui entreprend d'éliminer les anciens proches de François Duprat au profit de gens plus modérés ; le Front National redevient plus extrême sous Bruno Mégret, cependant celui-ci souhaite arriver au pouvoir par des élections, contrairement à Duprat ; ensuite, ce sont les années 2000-2010 et la lutte entre une extrême-droite islamophobe incarnée par Marine le Pen et l'extrême-droite antisémite et fasciste d'Alain Soral ou Yvan Benedetti, le Front National basculant du côté des marinistes mais sans couper les ponts avec la nébuleuse fasciste.
Cette lutte entre les différents courants de l'extrême-droite contribue à faire du Front National un parti très conflictuel, d'autant que, on l'a vu, il est également le théâtre de querelles d'ambitions personnelles particulièrement violentes, qui se soldent généralement par l'exclusion ou la dissidence des perdants : c'est ainsi qu'Alain Robert quitte le parti dès les années 70 à cause de sa rivalité avec Jean-Marie le Pen, que Jean-Pierre Stirbois exclut les cadres de la période Duprat en devenant numéro deux du parti, que Bruno Mégret et ses proches sont exclus par Jean-Marie le Pen alors que leurs ambitions ne cadraient plus avec les siennes, que Alain Soral et Dieudonné se lancent dans leur propre aventure en voyant la ligne du FN s'éloigner de la leur, que les membres de l'Œuvre Française sont exclus malgré le soutien de Bruno Gollnisch... En outre, les cadres du Front National comme ceux des autres partis peuvent être tentés de se passer de la formation qui les a fait élire : c'est ainsi que le député FN Jacques Peyrat l'a quitté pour se faire élire à la mairie de Nice, de même le maire d'Orange Jacques Bompard l'a abandonné, l'égo des élus peut ainsi court-circuiter les succès électoraux du FN.
Le Front National est donc un parti particulièrement vulnérable aux déchirements interne, ce qui est la conséquence de sa volonté de rassembler tous les courants de l'extrême-droite dans le même parti et de la forte personnalisation de l'extrême-droite. S'il obtient des succès électoraux sous Marine le Pen, le revers de la médaille est que cela accroit encore sa vulnérabilité : il existe maintenant une partie de l'extrême-droite qui a de bonnes raisons d'en vouloir à Marine le Pen, or celle-ci contrôle entièrement le parti depuis le congrès de 2014 à Lyon, ayant réussi à écarter de la direction les cadres fidèles à Bruno Gollnisch ; en outre, le discours de Marine le Pen est devenu un tel fourre-tout que l'électorat du Front National perd en cohérence. Cela expose le parti à deux risques : le premier est celui d'une candidature concurrente d'extrême-droite comme autrefois celles du MNR et du Mouvement Pour la France (MPF) de Philippe de Villiers, qui cette fois pourrait faire bien plus de dégâts du fait de l'hostilité envers la stratégie de Marine le Pen ; le second est que si le parti arrive au pouvoir, les électeurs du FN sont si différents qu'il ne pourra pas manquer d'en décevoir une grande partie.
Il ne faut donc pas se fier aux apparences concernant le FN : sa réussite actuelle cache une profonde absence de cohésion dans son idéologie comme dans son électorat, susceptible de le faire voler en éclats.
Cette lutte entre les différents courants de l'extrême-droite contribue à faire du Front National un parti très conflictuel, d'autant que, on l'a vu, il est également le théâtre de querelles d'ambitions personnelles particulièrement violentes, qui se soldent généralement par l'exclusion ou la dissidence des perdants : c'est ainsi qu'Alain Robert quitte le parti dès les années 70 à cause de sa rivalité avec Jean-Marie le Pen, que Jean-Pierre Stirbois exclut les cadres de la période Duprat en devenant numéro deux du parti, que Bruno Mégret et ses proches sont exclus par Jean-Marie le Pen alors que leurs ambitions ne cadraient plus avec les siennes, que Alain Soral et Dieudonné se lancent dans leur propre aventure en voyant la ligne du FN s'éloigner de la leur, que les membres de l'Œuvre Française sont exclus malgré le soutien de Bruno Gollnisch... En outre, les cadres du Front National comme ceux des autres partis peuvent être tentés de se passer de la formation qui les a fait élire : c'est ainsi que le député FN Jacques Peyrat l'a quitté pour se faire élire à la mairie de Nice, de même le maire d'Orange Jacques Bompard l'a abandonné, l'égo des élus peut ainsi court-circuiter les succès électoraux du FN.
Le Front National est donc un parti particulièrement vulnérable aux déchirements interne, ce qui est la conséquence de sa volonté de rassembler tous les courants de l'extrême-droite dans le même parti et de la forte personnalisation de l'extrême-droite. S'il obtient des succès électoraux sous Marine le Pen, le revers de la médaille est que cela accroit encore sa vulnérabilité : il existe maintenant une partie de l'extrême-droite qui a de bonnes raisons d'en vouloir à Marine le Pen, or celle-ci contrôle entièrement le parti depuis le congrès de 2014 à Lyon, ayant réussi à écarter de la direction les cadres fidèles à Bruno Gollnisch ; en outre, le discours de Marine le Pen est devenu un tel fourre-tout que l'électorat du Front National perd en cohérence. Cela expose le parti à deux risques : le premier est celui d'une candidature concurrente d'extrême-droite comme autrefois celles du MNR et du Mouvement Pour la France (MPF) de Philippe de Villiers, qui cette fois pourrait faire bien plus de dégâts du fait de l'hostilité envers la stratégie de Marine le Pen ; le second est que si le parti arrive au pouvoir, les électeurs du FN sont si différents qu'il ne pourra pas manquer d'en décevoir une grande partie.
Il ne faut donc pas se fier aux apparences concernant le FN : sa réussite actuelle cache une profonde absence de cohésion dans son idéologie comme dans son électorat, susceptible de le faire voler en éclats.