Il importe d'abord de se rappeler que Laibach est né dans un contexte bien particulier, celui de la Slovénie : le pays faisait alors toujours partie de la Yougoslavie, bien que se différenciant des autres populations yougoslaves par sa langue plus proche des langues germaniques et la prégnance du catholicisme en son sein, héritage d'un long rattachement à l'Autriche, il avait connu l'occupation de l'Allemagne nazie avant d'en être délivré par la résistance du Maréchal Tito, qui établit alors un régime socialiste mais dictatorial en rupture avec l'Union Soviétique ; c'est à la mort de Tito en 1980, alors que le régime yougoslave semblait prêt à se déliter, que Laibach fut fondé. Le groupe se nourrira ainsi longtemps des traumatismes connus par son pays : l'invasion de l'Autriche germanique et catholique sur ce qui était alors un pays slave et païen, l'invasion par le totalitarisme nazi, le régime de Tito se revendiquant du communisme, l'industrialisation avec ce qu'elle comporte d'aliénation, la lutte pour l'indépendance, l'ouverture au capitalisme avec les régressions qui s'en sont suivies... En 1984, Laibach déclara ainsi dans une interview n'être pas intéressé par les évènements politiques récents et être "apolitique" : et en effet, Laibach s'apparente alors avant tout à une mise en scène de l'histoire slovène ! Le nom "Laibach" n'est d'ailleurs autre que le nom germanique de la capitale de la Slovénie, Ljubljana.
Le groupe commence ainsi à travailler dans la première moitié des années 80 à quelque chose qui s'avère particulièrement dérangeant : comme d'autres groupes de la musique industrielle naissante, notamment Test Dept, ils recourent à une musique bruitiste évoquant la brutalité du monde industriel, parfois associée à des samples de musique classique ou contemporaine, accompagnée de paroles martelées et d'une imagerie d'inspiration totalitaire qui forment souvent un ensemble absurde... L'un des exemples les plus célèbres en est le morceau Die Liebe, hymne à la force de l'amour hurlé avec fanatisme en allemand sur une musique aussi sinistre que martiale ! Ce spectacle déstabilisant et ambigu politiquement n'est pas du goût du régime, et Laibach se voit déjà régulièrement censuré. Il faudra attendre 1985 pour que les enregistrements épars du groupe soient rassemblés sur deux albums, Laibach et Nova Akropola, la formation (qui n'est jamais claire sur ses effectifs, usant fréquemment de pseudonymes) a alors déjà changé de chanteur, le moustachu Milan Fras succédant à Thomaž Hostnik après le suicide de celui-ci. Il ne s'agit pas vraiment de la période la plus accessible de Laibach pour qui n'a pas l'habitude de la musique industrielle, qui était ici brutale et déjantée au possible !
Le groupe poursuit sur sa lancée avec deux albums qui reprennent cette ficelle de la transformation d'hymnes populaires en des morceaux martiaux et pesants : Sympathy for the Devil, constitué de huit reprises lorgnant sur l'électronique de la chanson du même nom des Rolling Stones (vous avez bien lu), et Let It Be, ensemble de reprises des Beatles composé sous drogue dure de l'aveu même du groupe... Ce dernier est au final moins intéressant musicalement, mais le massacre est jouissif à l'écoute !
Les années 90 voient Laibach évoluer vers une musique électronique beaucoup plu diverse que l'industriel bruitiste des débuts : elles commencent malheureusement assez mal avec l'album Kapital, hommage à l'album Electric Cafe de Kraftwerk sur le thème du capitalisme, qui s'avère au final certes original mais aussi ennuyeux et particulièrement kitsch... C'est plutôt un album à éviter pour découvrir Laibach. Qu'à cela ne tienne : Laibach rebondit l'année suivante avec l'album NATO (c'est à dire OTAN en anglais), constitué de reprises sur le thème de la guerre ; l'instrumental de cet album est une musique électronique dansante qui n'est pas forcément très recherchée, mais tout l'intérêt de l'album consiste en l'usage des chœurs qui rendent Laibach encore plus grandiloquent que d'habitude ! Depuis cette époque, les chœurs féminins ne quittent plus Laibach. On saluera en particulier sur cet album la reprise de Alle Gegen Alle, célèbre morceau du duo DAF, les pères de l'EBM, la branche dansante de la musique industrielle ; et cette fois, il n'est pas question de parodie, Laibach reprend simplement le morceau très sobre de DAF pour en faire une reprise dans son propre style.
Cette période voit se développer vigoureusement les croisements entre musique industrielle et metal, initiés par le groupe américain Ministry, auquel emboîtent le pas KMFDM, The Young Gods, Oomph !... ou même Rammstein, fondé en 1995 ! Dans ce contexte, Laibach parvient en 1996 à frapper à nouveau très fort en revenant avec un album de metal industriel, Jesus Christ Superstars ; et aussi incroyable que cela puisse paraître, les Slovènes s'avèrent capables de maîtriser aussi bien les guitares que les claviers, leur usage des chœurs et leur talent pour faire de leurs chansons des hymnes apportant leur touche bien particulière au metal industriel ! L'album est malheureusement presque absent de Youtube, en revanche on le trouve sur Deezer : http://www.deezer.com/album/7160685?utm_source=deezer&utm_content=album-7160685&utm_term=4938565_1460913547&utm_medium=web
On en est ainsi à trente-six ans d'évolution musicale et de provocations en tout genre de Laibach, avec une œuvre tout à la fois géniale, riche, drôle et dérangeante ; le groupe ne laisse semble-t-il personne indifférent, dénoncé et même censuré par les uns, encensé par les autres... Ce qui est sûr, c'est que Laibach n'est pas un groupe ordinaire !