La couverture du premier single de Bauhaus, Bela Lugosi's dead, pour lequel la presse britannique commença à parler de "gothic", en 1979. Image disponible à cette adresse : https://en.wikipedia.org/wiki/Bela_Lugosi%27s_Dead#/media/File:Bela_Lugosi%27s_Dead_Cover.jpg
Le temps passe vite. Il y a déjà trois ans -trois ans !- alors que ce blog venait d'ouvrir, j'avais publié un article sur les sens du mots "gothique" : en effet, le terme est devenu un fourre-tout, utilisé à la fois en architecture, en littérature, en musique, pour désigner une mode vestimentaire... Mais ce n'est pas tout de savoir que le mot "gothique" désigne une musique, encore faut-il savoir de quoi il s'agit ! Et ce n'est pas dans les médias mainstream que vous trouverez, toujours prompts à l'amalgame avec le metal -j'entends d'ici venir le "Ils sont chiants, ces passionnés, avec leurs distinctions", mais à la fin de cet article, vous devriez vous être rendu compte qu'il n'y a pas grand chose de commun musicalement ! Cet article présentera donc les principales branches de la musique gothique, ou les musiques gothiques si on veut, afin de vous éclairer si vous voulez vous faire une idée de ce qui existe dans ce genre.
Des racines post-punk à la Batcave
Le gothique naît à la fin des années 70 au Royaume-Uni, qui est alors en proie à une période d'effervescence musicale : décomplexés par l'essor du punk et de son rock simple et rapide, brisant les mélodies, des musiciens cherchent à en faire quelque chose de plus élaboré, à quoi ils adjoignent l'usage des synthétiseurs, qui sont en train de se démocratiser. C'est ainsi que naissent les expérimentations regroupées sous le nom de "new wave", le post-punk, puis la coldwave, la musique industrielle, et donc, le gothique, qui trouve ses origines dans une évolution du punk vers quelque chose de plus sombre et complexe sous l'influence de Joy Division ou Siouxsie and the Banshees (qui a déjà fait l'objet d'un article sur ce blog).
C'est un autre groupe britannique qui va parachever cette évolution, Bauhaus : en 1979, celui-ci sort en effet son premier single, Bela Lugosi's Dead, long morceau rendant hommage à l'acteur hongrois Bela Lugosi qui fut le premier à incarner Dracula au cinéma ; le jeune groupe frappe déjà par l'atmosphère pesante et effrayante du morceau... C'est à ce moment-là que la presse britannique se met à parler de "gothic", en référence à l'architecture impressionnante du Moyen-Âge. Au fil de ses compositions, Bauhaus impose son style, alliage entre l'énergie punk, une théâtralité inspirée du glam rock qui lorgne sur le grand-guignol et une ambiance oppressante... C'est cette sorte de punk noir et théâtral qui devient la base du gothique.
C'est un autre groupe britannique qui va parachever cette évolution, Bauhaus : en 1979, celui-ci sort en effet son premier single, Bela Lugosi's Dead, long morceau rendant hommage à l'acteur hongrois Bela Lugosi qui fut le premier à incarner Dracula au cinéma ; le jeune groupe frappe déjà par l'atmosphère pesante et effrayante du morceau... C'est à ce moment-là que la presse britannique se met à parler de "gothic", en référence à l'architecture impressionnante du Moyen-Âge. Au fil de ses compositions, Bauhaus impose son style, alliage entre l'énergie punk, une théâtralité inspirée du glam rock qui lorgne sur le grand-guignol et une ambiance oppressante... C'est cette sorte de punk noir et théâtral qui devient la base du gothique.
Le légendaire morceau Bela Lugosi's dead, acte de naissance du genre.
Bauhaus reprend l'un de ses inspirateurs en la personne de feu David Bowie avec la chanson Ziggy Stardust.
Plusieurs groupes suivent rapidement l'évolution amorcée par Bauhaus : Alien Sex Fiend, Virgin Prunes, The Specimen, Theatre of Hate... Ainsi s'installe au Royaume-Uni une scène qui joue avec l'imaginaire de l'épouvante, souvent avec grandiloquence et dérision, les artistes se faisant une spécialité d'en faire trois tonnes avec un sens de la provocation et un humour hérités du punk. De 1982 à 1985, ces gothiques ont leur repaire, la Batcave, boîte de nuit londonienne tenue par The Specimen, où les groupes se maquillent abondamment, encore plus qu'il n'était d'usage dans le glam rock, pour parer au faible éclairage ; on se met alors à baptiser cette scène "batcave" en hommage à son quartier général.
Caucasian Walk de Virgin Prunes, un groupe gothique irlandais particulièrement déjanté, sur l'album ... If I Die, I Die (oui, oui).
Isolation, morceau de Alien Sex Fiend, groupe qui se distingua en particulier par son sens de l'autodérision et de la mise en scène.
De l'autre côté de l'Atlantique : le death rock
La mouvance gothique ne reste pas longtemps un phénomène proprement britannique, ni même européen, puisqu'aux États-Unis, une évolution similaire est enclenchée sous l'influence de l'horror punk, avec là aussi l'apparition d'une scène qui transforme le punk en quelque chose de beaucoup plus sombre et théâtral... C'est ce que l'on appelle le death rock. Le premier groupe à ouvrir la voie là-bas est Christian Death, particulièrement fixé sur la provocation à l'égard de l'aspect hégémonique de la religion aux États-Unis ; d'autres lui emboîtent le pas comme Mephisto Waltz.
Un morceau composé par le premier line-up de Christian Death, emmené par le très jeune chanteur Rozz Williams, Romeo's Distres, sur le premier album du groupe, Only Theatre of Pain, en 1982.
Tales of Innocence, morceau de Christian Death issu de l'album Atrocities, chanté par Gitane Demone : le line-up est alors presque entièrement renouvelé, ne reste que Rozz Williams du premier auquel se sont joints les anciens membres du groupe Pompei 99, la musique évolue alors vers des atmosphères plus travaillées, s'éloignant du punk.
Le rock gothique
Se développe également dans les années 80 une scène gothique moins théâtrale, qui se rattache au gothique par son aspect sombre mais s'inscrit aussi dans la continuité de la coldwave, plus mesurée, se fondant sur une basse particulièrement mise en avant et une voix grave, pour ne pas dire d'outre-tombe, pour le chant : on parle de rock gothique, bien que l'expression soit parfois aussi employée pour désigner la scène gothique dans son ensemble. Le groupe-phare de ce genre est le britannique The Sisters of Mercy, souvent copié mais jamais égalé, d'autres se font connaître comme Fields of the Nephilim ou The Mission (qui est directement issu de The Sisters of Mercy, le caractère, disons, peu porté au compromis du chanteur Andrew Eldritch ayant rapidement conduit à la scission...).
Black Planet et Marian, deux morceaux issus du premier album (culte) des Sisters of Mercy, First And Last And Always.
Néoclassique gothique et heavenly voices
Le label britannique 4AD, qui par ailleurs héberge Bauhaus, devient le laboratoire d'une nouvelle évolution dans les années 80 : des groupes issus de la coldwave recourent à des voix féminines ethérées, on parle de "heavenly voices", et à du classique dans leur musique, si bien qu'on les regroupe souvent sous l'appelation de "néoclassique gothique" (parfois "dark wave néoclassique"). Il en découle une musique plus calme et mystérieuse, qui s'éloigne par bien des aspects du gothique tel qu'il était à la Batcave mais produit de véritables perles, qui trouvent leur public dans le milieu gothique. Les deux groupes les plus connus de ce genre sont l'australien Dead Can Dance et l'américain Cocteau Twins ; un autre grand représentant de ce genre, plus fidèle à ses racines coldwave et gothique, n'est autre que le français Collection d'Arnell-Andréa, que j'ai longuement présenté dans un autre article.
Cantara, morceau du duo australien Dead Can Dance, sorte de musique médiévale sombre et envoûtante.
Ivo, morceau d'ouverture de l'album Treasures du groupe américain Cocteau Twins, où la voix féminine apporte sa féérie à un instrumental marqué par la coldwave.
Du metal gothique ?
Ce n'est que tardivement que surviennent les premiers mélanges avec le metal. On l'a vu, le gothique est issu du post-punk, de la new wave, et pour cette raison, il n'a jamais été tout à fait séparé d'autres scènes issues de ce milieu, la coldwave et la musique industrielle ; en revanche, la relation avec le metal ne va pas de soi. Il existe au moins un groupe qui associe le metal, sous la forme du doom, qui se distingue par son tempo plus lent, à des musiques d'inspiration gothiques, proches en particulier de The Sisters of Mercy : c'est Type O Negative, groupe de metal américain formé en 1990, qui devient le fer de lance du metal gothique avec sa touche psychédélique.
Black n°1, clip issu de l'album Bloody Kisses de Type O Negative.
Un autre clip du groupe, tiré celui-là de l'album October Rust, My Girlfriend's Girlfriend.
D'autres groupes de metal se rapprochent du gothique, comme Paradise Lost ou Moonspell. Cependant, les racines gothiques du genre restent bien friables, les groupes étant généralement rattachés bien plus au doom metal qu'au gothique, et certains groupes qui s'en inspirent s'éloignent rapidement des racines gothiques, on peut penser par exemple à Theatre of Tragedy ou Xandria, d'autant que l'exemple de Theatre of Tragedy conduit la scène à être rapidement amalgamée au metal à voix féminine. Au final, les mélanges entre metal et gothique ont été beaucoup moins nombreux et beaucoup moins poussés qu'il n'y paraît.
Darkwave
Les années 90 sont surtout l'occasion d'un profond renouvellement des musiques gothiques : à ce moment-là, la scène britannique, jusque-là le cœur du réacteur, commence à s'essoufler. C'est en Allemagne que le gothique trouve un souffle nouveau ; en effet, alors que le gothique était jusque-là surtout affaire de guitares et de basse, plusieurs artistes d'outre-Rhin s'efforcent de ressusciter ses ambiances sombres en passant derrière les claviers, mêlant gothique et musiques électroniques, en s'inspirant en particulier des musiques industrielles telle que la dansante scène EBM. C'est la darkwave (il était arrivé auparavant que l'on parle de "dark wave" pour désigner la partie la plus sombre de la new wave). Girls Under Glass est le premier à explorer cette direction, suivi de Project Pitchfork qui combine superbement chant gothique et rythmes implacables EBM (article détaillé ici), de Calva Y Nada, Eternal Afflict, Diary of Dreams... On peut aussi en rapprocher les groupes italiens Kirlian Camera et The Frozen Autumn, dans une variante plus douce, ou le groupe belge The Breath of Life.
Un morceau de Project Pitchfork, Storm World, de l'album Lam'Bras, à la fois sombre, froid et rythmé, sous l'influence de l'EBM.
The Frozen Autumn jouant Polar Plateau. Bien qu'étant italien, ce groupe est souvent associé à la darkwave pour sa musique, froide et minimale, ce qui peut faire penser à une version synthétique de la coldwave.
La darkwave possède cependant un représentant plus sombre que les groupes précités et ne chantant qu'en allemand ; c'est le redoutable duo Das Ich, qui associe la théâtralité de la batcave à ce que la musique industrielle peut produire de plus oppressant !
Die Propheten, morceau du groupe issu de l'album éponyme.
Krieg im Paradies, de l'album Anti'Christ.
Dans les faits, l'expression "darkwave" n'a cependant pas été employée que pour désigner des mélanges entre musiques gothiques et musiques électroniques ou industrielles, elle a été employée pour désigner toute la vague de groupes gothiques allemands des années 90, y compris Love Like Blood qui s'inscrivait plutôt dans une resurrection du rock gothique, ou le néoclassique (et barré) Goethes Erben... Parmi ces groupes associés à la darwave par accident, Lacrimosa est un cas à part, adoré par certains pour ses compositions soignées et originales, remportant un succès commercial étonnant pour un groupe de ce genre chantant en allemand, mais détesté par d'autres pour sa façon d'employer les pires clichés du gothique avec un premier degré qui tranche avec l'esprit originel de la batcave (bruits de cloche, imagerie de cimetière, chœurs fantomatiques, tout y passe !) ; ses trois premiers albums s'inscrivent dans une forme très personnelle de rock gothique, très sombre et sérieuse, emprunte de néoclassique, il se rapproche ensuite du metal progressif (ce qui lui fait quelques ennemis supplémentaires parmi les gothiques) pour un mélange metal/gothique/classique très emphatique, témoignant d'une indéniable maîtrise du classique qui produit de très belles choses, mais où le risque du pompeux ridicule n'est jamais très loin... Lacrimosa constitue ainsi une bizarrerie au sein du gothique, celle d'un groupe qui ne craint pas de se prendre au sérieux, au risque de la caricature.
Der Ketzer, un morceau tiré du premier album de Lacrimosa, Angst.
On le voit, le gothique est aujourd'hui un genre très riche, des guitares rock de Bauhaus aux claviers de Project Pitchfork en passant par le néoclassique de Dead Can Dance ou Collection d'Arnell-Andréa, de l'esprit punk des débuts à des choses qui s'en sont largement éloignées... Au point qu'on peut se demander s'il faut parler de musique gothique au singulier ou au pluriel ! Puisse cet article aider ceux qui ont envie d'explorer le genre à trouver leur chemin au milieu de cet univers...