Qu'on les appelle « groupes de pression », « groupes d'intérêt », ou « lobbys » suivant un anglicisme, les groupements cherchant à influencer le pouvoir sont un phénomène souvent évoqués par les médias ou le personnel politique dans les démocraties modernes. Cela revêt souvent un aspect négatif, ces groupes d'intérêt sont accusés de mener à des politiques publiques en passant outre la démocratie : un exemple récent parmi d'autres en a été l'accusation portée par la présidente du Front National Marine le Pen selon laquelle la mention de la liberté de conscience des élus aurait disparu du projet de loi sur le mariage pour tous en raison de la pression d'« associations communautaristes » ; l'Assemblée Nationale elle-même a supprimé en octobre les accréditations de certains groupes d'intérêt liés aux industries de l'agro-alimentaire de la chimie, considérant qu'il s'agissait de secteurs sensibles qui ne s'y prêtaient pas. Cette vision négative des groupes d'intérêt n'est cependant pas uniforme : aux États-Unis, ils ont au contraire pu être vus comme des garants de la démocratie dans la mesure où ils font connaître des revendications de citoyens à l'État, et la notion d'association politique était déjà évoquée chez le précurseur de la sociologie Alexis de Tocqueville au XIXème siècle, qui voyait dans ces corps intermédiaires un moyen efficace de maintenir un investissement en politique des citoyens qui puisse servir de rempart contre le despotisme. Que sont donc ces groupes d'intérêt, pour commencer ? Selon le Dictionnaire des politiques publiques paru sous la direction de Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot et Pauline Ravinet, on peut en avoir deux acceptions : au sens large, c'est une « entité cherchant à représenter les intérêts d'une section spécifique de la société dans l'espace public » ; au sens strict, il s'agit d'une « organisation constituée qui cherche à influencer les pouvoirs publics dans un sens favorable à son intérêt », la différence porte donc essentiellement sur le fait d'agir pour influencer directement les pouvoirs publics ou non. Quoi qu'il en soit, un groupe d'intérêt ne doit pas être confondu avec un parti politique, même si l'on considère souvent que certains représentent davantage certaines portions de la société que d'autres ; en effet, il cherche à influencer le pouvoir politique, non à l'exercer lui-même.
Ces groupes sont donc des acteurs de la politique d'une nature différente du personnel politique et administratif, c'est pourquoi ils ont fait l'objet d'études de la science politique ; paru en 1995 dans la revue Pouvoirs, le texte « Les groupes d'intérêt dans l'action publique : l'État en interaction » du politiste français Patrick Hassenteufel récapitule ainsi les différentes approches de ce phénomène, et relève qu'après les analyses du pluralisme et du néocorporatisme, on parle à présent de « réseaux de politique publique » à leur sujet, ce qui implique l'idée de plusieurs acteurs agissant en interactions pour aboutir à une politique publique.
Quelles caractéristiques font-elles la spécificité de la notion de réseaux de politiques publiques dans l'analyse des groupes d'intérêt ? Quelles sont les implications de cette nouvelle approche pour la façon dont on perçoit l'action des groupes d'intérêt ? Afin d'expliquer pourquoi cette notion s'est imposée, ses traits peuvent être analysés à la fois dans le fait qu'elle représente une approche moins uniforme en comparaison des précédentes et dans les raisons pour lesquelles certains auteurs considèrent que cette approche manque néanmoins de dimension explicative.
I/ Les réseaux de politiques publiques comme approche moins uniforme des groupes d'intérêt
L'analyse des groupes d'intérêt en termes de réseaux de politiques publiques s'est affirmée à la fin des années soixante-dix en opposition à deux paradigmes précédents, le pluralisme et le néocorporatisme ; ces deux visions présentaient pour les auteurs qui ont développé l'approche des réseaux de politique publique l'inconvénient d'un aperçu trop uniforme des groupes d'intérêt.
A-Dépasser le paradigme de groupes d'intérêt dans une concurrence parfaite
1. Une vision libérale
Comme l'explique Patrick Hassenteufel dans son ouvrage Sociologie Politique : l'action publique, les groupes d'intérêt ont d'abord été appréhendés selon l'approche du pluralisme, notamment aux États-Unis ; cette analyse a notamment été développée par l'auteur américain David B. Truman. Elle présente les groupes d'intérêt dans une situation qui peut rappeler le marché tel qu'il est vu par les théories libérales en économie, en cela que les groupes qui représentent les divers intérêts présents dans la société sont dans une concurrence permanente et ouverte, aucun n'est suffisamment puissant pour influencer seul l'État, et tous se mobilisent lorsque leurs intérêts sont menacés quitte à former des alliances, de sorte qu'aucun ne puisse prendre définitivement l'ascendant sur les autres. Cela rappelle les conditions d'atomicité et d'homogénéité du modèle de la concurrence pure et parfaite. De cette façon, les groupes d'intérêt peuvent tous faire entendre leur voix à l'État, et les décisions de celui-ci devront satisfaire le plus grand nombre ; les groupes d'intérêt ne présentent ainsi aucune menace pour la démocratie, ils y contribuent.
2. Une vision sans prise en compte des différences entre groupes
Toutefois, cette théorie a été remise en cause pour le caractère irréaliste d'une concurrence parfaite entre les groupes d'intérêt. En effet, le paradoxe de l'action collective du sociologue Mancur Olson montre qu'un intérêt à défendre n'implique pas forcément qu'un groupe se constitue automatiquement pour cela, en raison du phénomène du « ticket gratuit » : il faut que les individus aient des incitations supplémentaires pour s'engager dans une action collective telle qu'un groupe d'intérêt, or les groupes ne peuvent pas tous déployer les mêmes, ils ne sont donc pas égaux. Le politiste américain Andrew S. McFarland, néopluraliste, remarque ainsi que les groupes d'intérêt économiques ou des professions très organisées comme les avocats sont susceptibles d'être plus puissants que les autres ; un autre auteur américain, Theodore Lowi, considère que les relations se stabilisent entre un nombre limité de groupes d'intérêt, des élus et du personnel administratif, formant un « triangle de fer » difficilement perméable aux influences extérieures. À l'opposé, les réseaux de politiques publiques sont bien dans une concurrence inégalitaire, et leur influence peut être très stable dans certaines théories.
B-Dépasser le paradigme de groupes d'intérêt dans une stricte séparation de l'État
1. Une vision combinant logiques interne et externe
Un paradigme bien différent s'est développé par la suite, celui des analyses néocorporatistes, que Patrick Hassenteufel détaille particulièrement dans le texte « Les groupes d'intérêt dans l'action publique : l'État en interaction » ; ce courant est notamment représenté par les auteurs Gehard Lehmbruch et Philippe C. Schmitter, selon le Dictionnaire des politiques publiques. Cette vision se caractérise par l'idée d'un système politique où la représentation est particulièrement concentrée et où il est difficile de s'en émanciper, et ce avec la reconnaissance de l'État, voire à cause de lui. Plus précisément, Philippe C. Schmitter pose six variables en fonctions desquelles un système politique est plus ou moins corporatiste : le degré de concentration des intérêts représentés, la nature obligatoire ou volontaire de l'adhésion, le degré de concurrence possible, le degré de centralisation, le degré d'institutionnalisation et la nature économique des intérêts défendus ; plus ces variables sont présentes, moins la représentation des intérêts est libre, on est donc loin du modèle libéral américain, c'est un système qui est en revanche très bien représenté par l'Autriche. Les groupes d'intérêt sont alors dans une situation d'oligopole où seuls quelques-uns ont une réelle influence sur les politiques publiques, et c'est en partie parce que l'État les a reconnus au préalable. On peut considérer que ce modèle s'applique en partie en France pour des secteurs particuliers comme l'agriculture, on parle de « corporatisme sectoriel ». Une telle analyse présente d'après Patrick Hassenteufel l'avantage d'intégrer une logique interne, en plus de la logique externe des relations avec l'État : en effet, dans cette situation, le groupe n'est plus seulement l'émanation d'un intérêt déjà présent dans la société, ce qui signifie qu'il peut avoir une influence sur ceux qu'il est censé représenter ; il contribue à construire une identité pour le groupe social qu'il représente, ainsi, Patrick Hassenteufel prend l'exemple des médecins de ville, qui sont une profession comparable en France et en Allemagne, mais leur représentation s'est axée sur la médecine libérale en France et sur la médecine intégrée au système de protection sociale en Allemagne.
2. Une vision datée et imposant une séparation trop rigide entre États et groupes d'intérêt
Ce second paradigme est lui aussi remis en cause, toutefois, pour des raisons qui tiennent d'abord à l'évolution des systèmes politiques : en effet, même en Autriche, il est de moins en moins valable, comme en atteste une politique de rigueur budgétaire à laquelle étaient hostiles les groupes d'intérêt ainsi que le succès de formations politiques qui leur sont opposées ; de plus, se développent les Nouveaux Mouvements Sociaux tels qu'étudiés par le sociologue français Alain Tourraine qui, par leur représentation bien plus libres et leurs intérêts non-économiques, ne peuvent être pris en compte par ce paradigme. Mais le principal apport de l'analyse en terme de réseaux sociaux réside ailleurs : en effet, les analyses néocorporatistes persistent à séparer l'État des groupes qui cherchent à l'influencer comme s'il était un tout uni et que ces groupes étaient tous des représentants d'intérêt économiques et sociaux auquel il accorde sa reconnaissance ; le concept de réseaux de politiques publiques a permis de dépasser cette coupure trop homogène, par une vision différente de l'État et une définition plus large des groupes d'intérêt.
II/ Les réseaux de politiques publiques comme approche insuffisamment explicative des groupes d'intérêt
La notion de réseaux de politiques publiques permet donc de dépasser plusieurs limitations des théories précédentes : celle consistant à voir les groupes d'intérêt comme ayant tous une influence comparable, celle en faisant des acteurs aux revendications exclusivement économiques et sociales, et celle de ne pas pouvoir y inclure des acteurs étatiques. Cette nouvelle représentation est donc plus englobante, toutefois elle est parfois considérée comme difficilement applicable ; elle n'est cependant pas restée figée, elle a connu un nouveau développement incarné par le modèle de la coalition de cause.
A-Une représentation englobante mais difficilement applicable
1. Un modèle plus inclusif
En effet, pour les auteurs employant cette notion, les politiques publiques ne résultent plus d'une interaction entre les pouvoirs publics et un ou plusieurs groupes d'intérêt mais entre plusieurs acteurs collectifs organisés, qui peuvent être étatiques ou non. Ces acteurs peuvent intervenir dans les différentes séquences d'une politique publique, et on les définit comme des réseaux pour deux raisons selon Patrick Hassenteufel : leurs interactions sont fréquentes et intenses, ils sont interdépendants et partiellement isolés de l'environnement externe. Cette théorie se fonde donc sur la diversité et les interactions des acteurs plutôt que sur des caractéristiques spécifiques, on peut y assimiler des acteurs situés à l'intérieur de l'État ou les Nouveaux Mouvements Sociaux. Toutefois, on peut alors reprocher à ce modèle son imprécision ; c'est pourquoi deux auteurs britanniques, David Marsh et Roderick Rhodes, proposent une typologie plus précise, divisant les réseaux de politiques publiques entre réseaux sur enjeux, réseaux professionnels, réseaux intergouvernementaux, réseaux de producteurs et communautés de politiques publiques. Il s'agit en fait d'un continuum suivant le degré d'intégration de ces acteurs, les réseaux sur enjeux étant les moins intégrés, les moins institutionnalisés, et les communautés de politiques publiques représentant l'extrême inverse ; trois critères sont employés pour opérer la distinction, le nombre des membres, la nature sectorielle ou transsectorielle du réseau et son degré de stabilité. Patrick Hassenteufel remarque que les réseaux les moins intégrés peuvent alors être assimilés aux groupes d'intérêt librement représentés décrits par les théories pluralistes, tandis que les plus intégrés, les plus stables, rejoignent finalement le modèle corporatiste. Ainsi, la représentation en termes de réseaux de politique publique permet non seulement de donner une vision plus fragmentée de l'État et une vision plus diversifiée des groupes d'intérêt, mais elle absorbe les théories précédentes. Dans le Dictionnaire des politiques publiques, Mark Thatcher considère qu'il s'agit d'une analyse inter-organisationnelle, qui transcende les secteurs public et privé, lesquels sont en partie interdépendants et autonomes à la fois, dans un échange qui peut être aussi bien conflit que coopération ; Thatcher lui-même voit ces réseaux de politiques publiques comme des institutions, pour leur capacité à entretenir des règles et des schémas de relations sociales durables dans le processus de politiques publiques.
2. Un outil imparfait
Néanmoins, si on lui reconnaît le mérite d'avoir dépassé deux visions précédentes trop homogènes, l'outil que représente la notion de réseaux de politiques publiques n'est pas non plus exempt de reproches chez certains auteurs. Patrick Hassenteufel considère ainsi que ce modèle reste quelque chose de descriptif, une métaphore des groupes d'intérêt plutôt qu'une véritable explication de leurs relations ; les catégories forgées par Marsh et Rhodes sont de plus considérées comme difficilement applicables par Mark Thatcher et deux autres auteurs, Le Galès et Dowding, leurs critères restent imprécis, et elles peuvent se recouper comme ils le reconnaissent eux-mêmes, par ailleurs plusieurs types de ces catégories peuvent exister dans un même secteur, ce qui les rend difficiles à identifier dans la réalité. En outre, Thatcher considère que la plupart de ces analyses laissent de côté les idées, la distribution du pouvoir entre les acteurs notamment lorsqu'ils sont étatiques, la façon dont changent les politiques publiques, et enfin, la façon dont émergent ces réseaux de politiques publiques. Patrick Hassenteufel ajoute à cela le fait que les politiques publiques peuvent être « bricolées », avec des acteurs participant de façon aléatoire et fluctuante, sans se structurer en réseaux, et qu'on peut aussi difficilement parler de réseaux à l'échelle européenne, la complexité des institutions et la multiplicité des niveaux rendant difficile leur constitution. Globalement, ce nouveau paradigme a donc fourni une nouvelle grille de lecture utile mais n'a pas suffisamment de portée explicative lorsqu'on tente de l'appliquer pour plusieurs auteurs.
B-Une représentation en évolution à travers le modèle de la coalition de cause
1. Un modèle plus centré sur les idées et les normes
Le modèle de la coalition de cause, Advocacy Coalition Framework en anglais, a été développé par deux auteurs américains, Paul Sabatier et Hank Jenkins-Smith ; il se différencie des autres analyses partant du paradigme des réseaux de politiques publiques par le fait qu'il cherche à expliquer l'action publique sur le long terme, sur des périodes de dix ans ou plus, et il prend davantage en compte les idées et les règles, donc la distribution du pouvoir entre les acteurs. En effet, dans cette théorie, les acteurs sont regroupés dans des types de réseaux particuliers, les coalitions de cause, au sein desquelles ils partagent un ensemble de croyances normatives et de perceptions du monde, et ils agissent de façon coordonnée pour les traduire en une politique publique. Selon l'article du Dictionnaire des politiques publiques rédigé sur ce modèle par Paul Sabatier lui-même, ce modèle convient particulièrement aux problèmes « retors », impliquant « des conflits en termes d'objectifs, des controverses techniques et de multiples acteurs issus de différents niveaux de gouvernement », car ce sont alors les idées présentes dans ces coalitions qui prévalent. Ces coalitions agissent à l'intérieur d'un sous-système de politique publique, au sein duquel sont représentés à la fois des acteurs provenant d'agences et d'institutions législatives pour les acteurs étatiques, des leaders de groupes d'intérêt, mais aussi des chercheurs et des journalistes dont les découvertes ou l'influence médiatique peut servir à influencer les décisions. Ce modèle ne se contente pas d'intégrer les variables du pouvoir et des idées dans les relations entre les groupes, une logique interne à ces groupes est également à l'œuvre comme dans les théories néocorporatistes : en effet, ces coalitions de cause façonnent les idées de ceux qui en font partie, elles donnent aux acteurs une grille de lecture en vertu de laquelle une même information sera perçue de manière différente par deux acteurs issus de deux coalitions différentes. Ce ne sont donc pas seulement les idées qui créent les coalitions mais aussi l'inverse ! Cela explique qu'une forme de sous-culture propre puisse se développer dans une profession ou dans les services d'un Ministère. Il paraît ainsi difficile pour un individu de changer de croyances, puisqu'il perçoit le monde qui l'entoure au travers d'elles ; toutefois, la théorie admet également une hiérarchie entre ces croyances, certaines forment un noyau formé très tôt dans la socialisation et difficilement mutables, d'autres sont secondaires, plus faciles à changer. Quoi qu'il en soit, si ces coalitions de cause s'imposent à ce point aux acteurs, il est compréhensible que l'analyse des coalitions de cause porte sur le long terme : en effet, on voit mal comment les choses pourraient alors changer, les mêmes coalitions restent en place, et cela rejoindrait la critique reprochant aux théories des réseaux de politiques publiques de ne pas suffisamment prendre en compte le changement dans la politique publique. Toutefois, les auteurs ont également développé une approche des possibilités de changement dan ces conditions.
2. Un modèle admettant de difficiles transformations des politiques publiques
En effet, ils admettent dans un premier temps que ces sous-systèmes, et donc leurs coalitions de cause, sont soumis à des contraintes externes : les unes sont relativement stables dans le temps, comme la répartition des ressources naturelles, les règles constitutionnelles qui encadrent toute politique publique ou les valeurs reconnues comme fondamentales par une culture ; d'autres sont en revanche plus mouvantes, les changements économiques et sociaux, les revirements de l'opinion publique et l'équilibre des partis politiques qui l'accompagnent, et il faut bien sûr également prendre en compte ce que font les autres sous-systèmes. Un changement majeur et profond de politique publique demande donc des transformations importantes dans ces facteurs externes, des perturbations socio-économiques ou venues d'un autre secteur qui transforment les ressources ou les croyances des acteurs principaux, au moins dans les positions qu'ils défendent, de sorte qu'une coalition jusque-là minoritaire pourra devenir majoritaire ; on peut interpréter ainsi le brusque changement des discours tenus sur le libéralisme économique par des acteurs politiques ou des experts suite à la crise économique de 2008, on peut aussi considérer qu'une catastrophe naturelle a tenu ce rôle dans la décision du gouvernement japonais de cesser la production d'énergie nucléaire suite au séisme qui a frappé la centrale de Fukushima en 2011. Toutefois, Paul Sabatier constate également que les chocs pétroliers et l'arrivée au pouvoir de Ronald Reagan n'ont pas suffi à changer la politique sur le contrôle de la pollution automobile aux États-Unis, un contre-exemple est donc possible. La seule possibilité qu'il admet pour un changement majeur de politique publique autre que des bouleversements exogènes nécessite une situation d'impasse reconnue comme inacceptable par l'ensemble des acteurs, la participation de représentants de tous les acteurs concernés, des règles de décision fondées sur le consensus, une confiance mutuelle, un médiateur de politique publique compétent, et le processus peut prendre un an ou plus ; il s'agit donc d'une situation difficilement envisageable.
3. Une portée explicative toujours limitée
Si cette théorie échappe donc à certaines critiques affectant d'autres théories du paradigme des réseaux de politiques publiques, principalement concernant la prise en compte du pouvoir, celle des idées et la capacité à appréhender le changement, et si elle fournit donc une explication de ce changement et des croyances des acteurs, Patrick Hassenteufel considère néanmoins que sa portée explicative est toujours perfectible ; en effet, elle n'aborde pas la façon dont se constituent les sous-systèmes qu'elle décrit, et l'explication du changement reste vague, car elle se fait finalement par des facteurs qui lui sont trop extérieurs.
L'étude des groupes d'intérêt s'est donc faite par trois paradigmes successif : celui du pluralisme, selon lequel tout intérêt présent dans la société trouve un groupe pour le défendre, de sorte qu'il existe une libre concurrence entre ces intérêts pour influencer le pouvoir ; celui du néocorporatisme, davantage applicable en Europe qu'aux États-Unis, où les groupes d'intérêt sont des institutions stables reconnues, voire instaurées par l'État, la représentation ne se fait alors pas librement, et l'intérêt défendu par le groupe est aussi le fruit d'une construction sociale ; enfin, on parle donc aujourd'hui de réseaux de politiques publiques afin d'intégrer des acteurs qui pourraient correspondre aux deux paradigmes précédents à la fois, aussi bien des organisations défendant des intérêts économiques et sociaux comme les syndicats que des Nouveaux Mouvements Sociaux à la représentation plus libre, voire, aux États-Unis, les organisations fondamentalistes créées pour les combattre, cela permet également d'intégrer des acteurs présent dans le pouvoir politique ou l'administration mais qui auraient besoin d'une influence sur une politique publique particulière pour une raison ou pour une autre, de sorte que l'État n'est plus un tout uni, il est lui aussi pénétré par ces réseaux. Une théorie particulière a été développée suivant ce paradigme, celle des coalitions de cause, qui définit les réseaux de politiques publiques également comme pouvant s'assurer une domination stable dans le temps et se caractérisant par un ensemble de croyances propres dont il est difficile de sortir ; on recourt essentiellement à des facteurs exogènes pour expliquer qu'une politique publique puisse changer malgré la configuration durable qu'ils génèrent dans un sous-système. Toutefois, certains auteurs considèrent que si ce paradigme et les théories qui en découlent fournissent des outils pour décrire la réalité, ils ne sont pas encore suffisants pour expliquer la façon dont les groupes d'intérêt se construisent et nouent des relations avec le pouvoir politique.